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la portée des réformes que Joseph avait exécutées dans ses états. Tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’elles avaient mécontenté presque toutes les nationalités dont la réunion constitue la monarchie autrichienne. Le nouvel empereur, dont les inclinations étaient d’ailleurs toutes pacifiques, n’eut pas de peine à comprendre que, dans ces circonstances difficiles, si la guerre de Prusse venait s’ajouter à la guerre de Turquie, l’Autriche pouvait, par une seule défaite, être mise à deux doigts de sa perte. Pour se donner le temps d’apaiser les esprits à l’intérieur et pour resserrer les liens qui commençaient à se relâcher entre l’Autriche et les provinces, il fallait, avant toute chose, rétablir la paix à l’extérieur. Telle fut la première pensée qui lui vint à l’esprit au moment où il quittait la Toscane pour aller occuper le trône qu’il venait d’hériter de son frère. A son départ de Florence, il s’en ouvrit à lord Hervey, ministre d’Angleterre : il l’assura qu’il désirait très sincèrement arrêter l’effusion du sang, que, s’il n’avait tenu qu’à lui, son empire, de même que l’Angleterre, n’aurait point eu d’autre frontière que l’océan, qu’enfin il était prêt à traiter avec la Turquie, même sur le pied du statu quo ante bellum. Cette concession semblait d’autant plus remarquable que la dernière campagne avait été toute favorable aux Autrichiens,[qui s’étaient emparés de Belgrade (octobre 1789). Lord Hervey n’eut rien de plus pressé que de communiquer ces confidences à son gouvernement.

En arrivant à Vienne, Léopold trouva M. de Kaunitz dans des dispositions différentes des siennes. Le chancelier ne pouvait admettre que l’Autriche sortît sans agrandissement d’une guerre où elle avait fini par infliger aux Turcs de si graves échecs. Bien loin de redouter une guerre avec la Prusse, il semblait qu’il la désirât, pourvu toutefois que la Russie restât l’alliée de l’Autriche dans cette nouvelle campagne. Il conseillait donc à l’empereur de faire au plus vite sa paix avec la Turquie, puis de concentrer son armée en Bohême et en Moravie : pour se donner le temps d’exécuter ce dessein, on amuserait la Prusse par des négociations, et, en même temps, on sonderait les Intentions de la cour de Russie.

Deux semaines après avoir pris le pouvoir, Léopold écrivit en effet à Frédéric une lettre fort conciliante (25 mars). A Berlin, on suivait avec la dernière attention les moindres démarches du nouveau souverain. Quelles seraient ses relations avec la Prusse et la Turquie? A l’intérieur, qu’entreprendrait-il pour apaiser les esprits? Bien différentes des missives tranchantes de Joseph II, les assurances de Léopold étaient toutes pacifiques, mais elles n’inspiraient pas une grande confiance. Frédéric-Guillaume avait pénétré le dessein de Kaunitz; il résolut, lui aussi, de profiter de ces négociations pour faire les derniers préparatifs d’entrée en campagne.

Ce fut vers cette époque que les dispositions du cabinet de Saint-James