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et de nous entraver sur toutes les côtes de son immense empire? Cette faute ne date pas d’hier. Après l’expédition de Chine, les Anglais n’ont rien épargné pour s’insinuer dans l’empire du Milieu, pour y établir leur influence, pour attirer à eux ses prodigieuses ressources. Ils ont eu l’habileté de se faire confier l’administration des douanes, où nous avions d’abord une part que nos consuls n’ont eu rien de plus pressé que de leur livrer, et d’en faire la principale source de revenus du trésor chinois. Par là ils se sont rendus utiles, indispensables. Nous n’avons pas suivi cet exemple ; nous nous sommes bornés à donner aux Chinois quelques leçons militaires. dont ils se sont déjà servis contre nous-nous avons dédaigné de leur rendre des services moins dangereux et mieux appréciés. Enfin, à la première occasion qui s’est présentée à nous, nous les avons traités avec une morgue hautaine que les Orientaux n’oublient jamais. C’est peut-être de la grande politique moderne; mais on me pardonnera de penser que la politique ancienne était à quelques égards préférable. Au risque d’être traité de complaisant de cet ancien régime dont les manuels d’enseignement primaire à la mode nous divulguent toutes les horreurs, j’oserai dire que nous aurions dû faire dans l’extrême Orient, sur un théâtre agrandi, ce que la vieille monarchie avait fait, avec un si admirable bon sens et une si parfaite absence de préjugés, dans l’Orient méditerranéen. Il y avait là un peuple qui paraissait alors aux nations européennes aussi barbare, aussi repoussant que les Chinois peuvent nous le paraître aujourd’hui à nous-mêmes ; sa religion, ses mœurs, ses idées n’étaient pas moins différentes des nôtres; il ne nous détestait, il ne nous méprisait pas moins que ne le font maintenant les Célestes. Néanmoins il occupait les plus riches contrées de la Méditerranée; cela suffit à la vieille monarchie pour accepter tous les sacrifices, voire même tous les affronts, afin de s’emparer de ses marchés et de devenir le principal agent de son commerce. La lutte commerciale s’est agrandie de nos jours ; elle n’est plus circonscrite à la Méditerranée; c’est à l’extrême Orient qu’elle se développe et que, de plus en plus, elle se développera. Seulement, sur ces mers nouvelles la France actuelle laisse l’Angleterre jouer le rôle que la France d’autrefois jouait dans les mers européennes. Que d’autres s’emparent des leçons de son histoire et les mettent à profit, elle n’en a cure; elle aurait plutôt quelque honte de les appliquer personnellement : ne serait-ce pas reconnaître que le passé n’est pas uniquement, comme on le professe dans les écoles, une longue suite de crimes, qu’il a eu ses grandeurs, ses gloires, et qu’il peut encore donner des enseignemens au présent?

Et de même que nous ne sommes plus capables d’avoir, dans nos rapports avec les grands états barbares du monde, une politique