Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ici, tout me sera facile. L’adoration qu’on a pour Votre Majesté est sans limite : chaque Turc est devenu un Prussien et tous les ministres ne parlent que de la Prusse et de son grand monarque. Reis-Effendi lui-même est en ma main comme une cire molle. » (22 février 1790.)

Dans ce même temps, l’impatience était devenue très vive à Berlin. Dès la fin de 1789, l’armée autrichienne avait commencé à se masser en corps considérable dans la Bohême et la Moravie. Il devenait tout à fait nécessaire que le cabinet de Berlin fût définitivement fixé sur les intentions de la Porte. De nouvelles et pressantes instructions furent dépêchées à Dietz : il devait décider les Turcs à rentrer en campagne en mars, au plus tard en avril et à porter leur principal effort contre l’Autriche. Comme toujours, les ministres turcs ne s’étaient hâtés que fort lentement de répondre à ces propositions. Cet insuccès, ces retards continuels, Hertzberg les attribuait à la rudesse de caractère de Dietz, à son orgueil, à son ton tranchant, qui blessait non-seulement les ministres turcs, mais encore les ambassadeurs des puissances alliées. Lorsque enfin on apprit à Berlin que les instructions secrètes envoyées à Dietz étaient tombées aux mains de Reis-Effendi, la colère de Hertzberg ne connut plus de bornes, et il insista auprès du roi pour que Dietz fût immédiatement rappelé et remplacé par le major Knobelsdorf. Le roi consentit, et le rappel de l’ambassadeur fut signé le 26 janvier, c’est-à-dire quatre jours avant la conclusion du traité offensif et défensif avec la Porte.

Pour bien comprendre cette intrigue, dont les péripéties ne laissent pas de présenter parfois des traits assez comiques, il faut se rendre compte des difficultés de communication qui, dans ce temps-là, allongeaient si fort la route de Berlin à Constantinople. Par suite de la guerre d’Orient, les dépêches de Prusse étaient d’abord dirigées sur Venise; elles traversaient l’Adriatique, faisaient relâche dans plusieurs îles de l’Archipel et n’arrivaient guère à Stamboul qu’après un voyage d’environ six semaines. Encore fallait-il pour cela que le vent fût favorable et qu’il se trouvât à point nommé dans le port un vaisseau prêt à faire voile. La nouvelle de la conclusion du traité ne parvint donc à Berlin que dans les premiers jours de mars: Knobelsdorf était en route depuis quinze jours. On se fera facilement une idée de l’étonnement, puis de la colère de Hertzberg lorsqu’il eut pris connaissance des clauses du traité. « A quoi avez-vous pensé, écrit-il à Dietz le 12 mars, en prenant, au nom de Sa Majesté l’engagement de déclarer la guerre à l’Autriche et à la Russie et de ne poser les armes que quand la Turquie aura recouvré la Crimée? Cela ne se trouve dans aucune des instructions que vous avez reçues. En vérité, je suis fort embarrassé aussi bien pour ratifier le traité que pour l’exécuter. Nous voulons bien faire la guerre à l’Autriche, mais non pas à la Russie. Quant à promettre la Crimée aux Turcs, c’est absurdité pure. J’apprends que les ministres turcs