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ne pouvait être du goût de Catherine; elle dut s’en expliquer très vertement avec le cardinal, qui, battant prudemment en retraite, écrivit à sa belle-sœur, la duchesse de Guise : « J’ai reçu une lettre de Madame notre mère (Antoinette de Bourbon) que je vous envoie, par laquelle vous connoîtrez que les propos qu’on lui a tenus étoient de M. le Prince et de ma nièce, votre fille, et connoîtrez qu’en cela elle est de sa sagesse accoutumée pour ce qu’elle ne s’en veut trouver embrouillée. Vous communiquerez cette lettre à la reine mère, afin qu’elle entende que nous ne voulons avoir intelligence avec personne, encore moins moyenner quelque chose cachée, tant secrète qu’elle soit, qu’elle ne lui soit dévoilée. Il me semble que la reine devroit faire venir le prince à la cour, cela le divertiroit de beaucoup d’entreprises. J’oubliois de vous dire qu’on vous prendroit encore plutôt que votre fille; on iroit à la messe dès le premier jour[1]. »

Dans la première quinzaine de février 1565, Catherine apprit enfin d’une manière officielle que Philippe II consentait à lui envoyer sa fille, Elisabeth, et qu’il la ferait accompagner par le duc d’Albe, à la condition toutefois que ni Jeanne d’Albret ni Condé n’assisteraient à l’entrevue[2]. A la première nouvelle qui lui en parvint, Coligny accourut à Vendôme, où s’était retirée Jeanne d’Albret, la route du Béarn lui étant fermée. Il venait s’entendre avec elle sur les moyens à prendre pour parer aux dangers dont les menaçait l’entrevue de Bayonne. Il fallait à tout prix que Condé ne séparât pas sa cause de la leur. L’amiral jugeait, bien que le prince pouvait seul entraîner par sa fougue tous les gentilshommes dont l’épée leur était encore plus nécessaire que les prêches de leurs ministres. On ne fait pas la guerre civile avec des théologiens. Mais heureusement pour Catherine, Limeuil était sous sa main, Limeuil, qui, en dépit des infidélités de Condé, avait conservé sur lui tout son pouvoir. Nulle femme en effet, ne sut mieux qu’elle maîtriser ce cœur mobile et variable, en associant les protestations les plus incroyables de tendresse aux plus exagérées flatteries. Loin de se montrer jalouse de la passagère liaison du prince avec la maréchale de Saint-André, elle lui avait écrit à la mort de Catherine d’Albon : « Veuillez aider à la pauvre mère, car je crois qu’elle aura besoin de votre aide. » Dans ce semblant de fausse commisération, quelle froide et sanglante ironie ! Comme il est à regretter de n’avoir pas les lettres de Limeuil, datées de sa prison de Tournon ! Nous y verrions sans doute avec quel art elle amena Condé à la faire venir à ce château de Valéry, présent de sa rivale. Cette vengeance lui suffisait.

  1. Bibliothèque nationale, fonds français, n° 3,311.
  2. Ibid., n° 10,735, p. 68.