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de la chambre a produit en Tunisie des effets presque désastreux. Si l’expédition, qui aurait dû se prolonger un mois à peine, a duré plus d’un an, si l’occupation, qui aurait dû s’exécuter complètement dès le début des opérations, ne s’est faite qu’avec une lenteur désespérante et des pertes considérables en hommes ou en argent, c’est qu’il ne s’est pas trouvé un ministre assez audacieux pour oser dire à la chambre ce que nous allions faire en Tunisie. On a cherché des prétextes, on a inventé des légendes dont l’Europe a ri, alors qu’il eût été si simple de proclamer bien haut les intérêts majeurs qui nous obligeaient à pénétrer en Tunisie et à nous y fixer. Les mêmes causes ont produit au Tonkin les mêmes effets. Là aussi, nos hésitations, nos craintes, nos faiblesses out compromis une situation excellente et provoqué des difficultés qui ne se seraient jamais produites si nous avions su agir en temps opportun et avec énergie. Il y a un an, il eût été très aisé de jeter une petite armée dans le della du Song-Koï, de paralyser les Pavillons Noirs, qui n’étaient point préparés à la lutte, et de placer la Chine en face d’un de ces faits accomplis devant lesquels les peuples orientaux s’inclinent toujours. Mais nous avons pris des demi-mesures qui ont tout gâté. Nous avons donné le temps à la Chine d’agir, de se mettre en mouvement, de s’ingérer dans une affaire dont nous voulions l’exclure. Il en est résulté des périls contre lesquels nous ne luttons pas sans accidens et qui pèseront longtemps sur notre position, non-seulement au Tonkin, mais dans toutes les mers de Chine. J’en dirai autant du Congo. Le Congo est un exemple remarquable du peu d’harmonie qui existe aujourd’hui entre l’opinion publique et les actes de nos gouvernemens. S’il y a eu, depuis quelques années, un mouvement d’opinion énergique et universel dans notre pays, c’est celui qui s’est produit en faveur de l’entreprise de M. de Brazza au Congo. Pour la première fois dans notre histoire contemporaine, on a vu tous les partis, depuis l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche, s’enflammer du même zèle pour une même cause. Mais ce beau feu, dont la nation entière semblait animée, s’éteignait juste à la limite des régions gouvernementales. De longs mois se sont écoulés sans que M. de Brazza, héros populaire entre tous, obtînt le moindre encouragement des ministères et des chambres. Enfin on s’est décidé à le renvoyer avec quelques centaines de mille francs sur le théâtre de ses découvertes. Mais on avait donné le temps à son rival, Stanley, de l’y devancer, d’y accomplir des révolutions, d’y bouleverser son œuvre, d’y créer les obstacles au milieu desquels il se débat avec tant de peine en ce moment.

On ne doit point se faire d’illusion. Si la politique coloniale est, à l’heure actuelle, la seule politique sage, avisée, pacifique et relativement