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tous, quand vous leur montrerez tant en petite chose qu’en grande que vous ne voulez entendre parler ni entendre nouvelles que de celui qu’avez plus aimé que ce que estimiez plus cher que vous-même. » Ne pouvant s’empêcher de faire une allusion indirecte à M. de Fresnes: « Vous avez déjà entendu, ajoute-t-il, que l’on parle à la cour de quelqu’un ; vous y penserez pour faire taire ces faux bruits. Il ne faut point qu’entriez en serment avec moi pour me faire croire qu’il est mien, votre fils ; car je n’en ai non plus douté que de ceux de ma femme; mais faites que d’autres ne puissent entrer en doute, et pensez que, si le voyiez, que diriez bien avec raison qu’il est mon fils, car à son visage les deux nostres se reconnoissent. Je vous supplie, mon cœur, de ne jamais m’abandonner, comme vous me l’avez promis et quand vous vous souviendrez du lieu, je vous assure que vous me tiendrez promesse. Je vous envoie une robe fourrée. Je voudrois être près de vous à sa place, car je ne puis être si inutile que je ne vous puisse faire autant de service qu’elle. » Dans une seconde lettre, il annonçait à sa maîtresse qu’il avait confié son fils à un gentilhomme qui relèverait dans sa maison, comme l’un de ses propres enfans, et il l’engageait à écrire à la reine pour lui demander pardon et implorer sa miséricorde. En fermant sa lettre : « Gagnez, lui dit-il, la vieille qui vous garde, faites-moi savoir souvent où vous serez et ne permettez qu’homme du monde vous voye que moi et les miens ; par là vous ferez connoître que vous ne voulez jamais aimer que moi, à qui vous vous êtes laissée aller, et pour cause je dis ceci, car je ferai pour vous ce que ne pensez pas et soyez assurée que je veux vivre et mourir avec vous. »

Condé ne se borna pas à écrire à Isabelle ; il remercia Venteux des égards témoignés par lui à sa maîtresse et d’avoir bien voulu autoriser son basque à lui remettre ses lettres ; mais Catherine revint bien vite sur la permission qu’elle avait tout d’abord donnée ; elle défendit à Venteux de laisser à l’avenir Limeuil communiquer avec le basque du prince, et lui recommandant de veiller plus que jamais sur sa prisonnière, elle fit partir pour Auxonne l’évêque du Puy et Sarlan, un de ses maîtres d’hôtel ordinaires, avec mission de poursuivre l’instruction commencée.

Sarlan et l’évêque, qui avaient quitté Mâcon le 8 juin, arrivèrent le jour suivant, sur les deux heures du soir, à Auxonne. Ils attendirent jusqu’au lendemain pour se rendre au monastère. Isabelle, non prévenue, avait pris médecine et les reçut au lit. Ils avaient emporté la copie de la déposition de Maulevrier, déposition confirmée tout récemment par lui à Mâcon ; ils la lurent en entier à Isabelle, ainsi que les réponses qu’elle avait précédemment faites, lui laissant jusqu’au lendemain pour prendre conseil de la nuit et modifier au