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décidèrent sur l’heure que Isabelle de Limeuil serait conduite au monastère des cordelières d’Auxonne. On exécuta si rapidement et si secrètement cet ordre que qui que ce fût à la cour ne put savoir ce qu’elle était devenue, pas même M. de Fresnes, qui voyait la reine mère tous les jours et dont l’affection pour Isabelle n’était un mystère pour personne. Arrivée à Auxonne, Isabelle y fut mise sous la garde de M. de Ventoux, gouverneur de la place. Lorsque la lourde porte du couvent se fut refermée sur elle, quand elle se vit cloîtrée dans une chambre basse qui ne ressemblait que trop à une prison, elle fut prise d’un sombre désespoir ; durant trois jours et trois nuits elle ne cessa de gémir et de sangloter. M. de Venteux en eut pitié ; il la visita à plusieurs reprises, cherchant à la consoler, à lui relever le moral, mais sans parvenir à la faire sortir de son accablement. « Ce qui la rend si affligée, écrivait-il à Mme de Toulongeon, c’est d’être abandonnée et délaissée de tous ceux en qui elle avait mis quelque espoir. Je ne puis croire qu’elle puisse rester longtemps ainsi. Si une femme doit mourir de mélancolie en regardant son visage, il semble qu’elle doive incontinent mourir. » Ne sachant comment l’arracher aux préoccupations qui l’obsédaient, Venteux lui proposa de faire venir de Dijon un devin très renommé qui se nommait Terreau. Elle y consentit. Le devin, introduit auprès d’elle, lui prit la main; et après l’avoir longtemps examinée : « Vous êtes sous le coup, dit-il, d’une grave accusation. — De quoi m’accuse-t-on ? demanda Isabelle. Est-ce au sujet des troubles? » Le bruit courait alors que d’Andelot avait repris les armes. « Non, reprit Terreau, il s’agit de poison. — Alors qui m’accuse? — Deux vieillards, répondit-il. » — A la désignation qu’il en fit, Isabelle crut reconnaître le connétable de Montmorency et le prince de La Roche-sur-Yon. Prévenue par Ventoux de l’état alarmant de sa prisonnière, Catherine l’autorisa à remettre à Isabelle toutes les lettres qui lui seraient adressées et à laisser partir les siennes, mais en ayant soin d’en prendre copie ; elle comptait bien en tirer au besoin bon parti.

La première lettre qui parvint à Isabelle de Limeuil était de M. de Fresnes : elle établit, sans doute possible, leurs rapports intimes : « Je croyois, y disait-il, avoir le bien de vous voir au partir de Dijon, mais j’en fus bien en gardé, car ayant demeuré deux jours malade en la chambre, l’on voulut faire croire à la reine que je m’en étois allé vous voir, dont elle étoit en colère, à ce qu’on me dit. Cela fut cause qu’on vous détourna, afin qu’on n’eût plus de nouvelles de vous, et aussi je n’osois, ne vous pouvant de rien servir, pour le hasard où j’étois de perdre la bonne grâce de la reine. Lebois vint me trouver hier; je ne puis vous l’envoyer pour