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qu’elle demande avant tout, par-dessus tout, c’est une politique à la fois très élevée et très suivie. Comme les résultats ne sont pas immédiats, comme elle exige beaucoup d’efforts immédiats pour ne donner ses fruits que dans un laps de temps assez éloigné, comme elle sacrifie le présent à l’avenir, elle ne peut être entreprise que par des gouvernemens capables d’échapper aux petites passions du moment et puisant dans la sécurité de leur existence le courage de résister aux conseils d’un égoïsme étroit ou d’une pusillanimité mesquine. Or, des gouvernemens de ce genre, nous n’en connaissons plus depuis quelques années. Faut-il s’en prendre, comme l’affirment beaucoup de personnes, à notre système électoral ? Faut-il plutôt chercher à un mal aussi grave une cause plus profonde? Je l’ignore, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que nous sommes gouvernés par des hommes d’état dont l’horizon est circonscrit aux limites de leur arrondissement ou aux fortifications de Paris. Aussi la plupart d’entre eux n’ont-ils pas la notion de ce qui se passe au dehors et de la part qu’il faudrait y prendre pour augmenter la prospérité de notre pays. Ce ne serait rien cependant, s’ils demeuraient assez longtemps au pouvoir pour contracter, sinon les connaissances dont ils sont dépourvus, au moins une certaine habitude du maniement de la chose publique qui parfois, y supplée. Mais jusqu’ici la moyenne de nos ministères n’a pas dépassé quelques mois. Or la seule règle de conduite de ceux qui arrivent est de faire le contraire de ceux qui s’en vont. Il n’y a pas eu d’autre cause à l’abandon de notre politique traditionnelle en Égypte. L’éducation de nos gouvernans empêche toute entreprise qui dépasse les bornes intellectuelles d’hommes d’état élevés dans les petits cercles de province ou dans les coteries de Paris ; leur fragilité s’oppose à toute action continue, à toute tradition durable se perpétuant de cabinets en cabinets, et s’appliquant sans interruption au développement de notre puissance extérieure.

L’idée que la chambre des députés se fait de ses attributions et de la nature de son mandat ajoute encore à la faiblesse des gouvernemens successifs qu’elle forme un jour pour les renverser le lendemain. Elle considère les ministres, on le sait, comme des sortes de commis chargés d’exécuter ses volontés souveraines, non comme des guides en qui elle place sa confiance et dont par suite elle accepte la direction. Elle a mis la main sur l’administration, qu’elle prétend exercer de la manière la plus capricieuse et la plus arbitraire. Son influence ne doit pas être moins directe, moins intime sur la politique extérieure. De là les hésitations, les faiblesses des ministres, qui n’osent prendre aucune résolution sans la consulter et qui n’osent pas, en la consultant, lui laisser comprendre la portée des résolutions qu’ils lui proposent. Ce manque de courage vis-à-vis