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qualités. Chez elle l’œuvre coloniale a toujours été le produit d’entreprises isolées, de tentatives individuelles, un instant favorisées par l’opinion publique, mais bien rarement comprises par les gouvernemens, qui les ont toutes fait avorter à la longue à force d’imprévoyance, d’aveuglement, de faiblesse malencontreuse ou de témérité mal placée. Qu’on se rappelle les admirables, mais éphémères triomphe du XVIIIe siècle, où le génie d’un Dupleix faillit nous donner l’Inde ! Hélas ! ce beau rêve de Golconde et de Lahore, longtemps caressé, un instant réalisé, a fini dans les plus tristes humiliations. Des aventures inoubliables, préparées avec toute la sagacité et toute la sagesse de l’esprit français, exécutées avec toute la fougue du tempérament gaulois, se sont terminées par la substitution de l’Angleterre à la France dans les contrées que celle-ci semblait avoir conquises à tout jamais. Sic vos non vobis! Ce n’était ni la première ni la dernière fois. Nous voilà repris par la séduction des entreprises lointaines; dans presque toutes les parties du monde, des explorateurs hardis, véritable monnaie de Dupleix, s’élancent à la poursuite de royaumes qui n’ont pas le charme poétique de ceux de Golconde et de Lahore, mais dont les richesses conviennent au sens pratique de notre siècle de prose. L’entraînement est général. Reste à savoir s’il ne tournera pas, comme autrefois, en désastres et en déceptions? Après ce que je viens de dire, il est évident que cela dépendra uniquement de notre conduite générale. Nous avons, à n’en pas douter, des aspirations coloniales très sérieuses; aucune aptitude colonisatrice ne nous fait défaut; le bon sens politique, des nécessités économiques impérieuses nous poussent vers les colonies: mais avons-nous une politique coloniale fondée sur des principes assez clairs pour donner aux chambres et à l’opinion la perception nette du but à atteindre et des moyens à employer à cet effet? Avons-nous des mœurs publiques susceptibles de se prêter aux entreprises de longue haleine et un gouvernement capable de les conduire ? Dans le passé, nos acquisitions et nos succès ont été quelque peu le produit du hasard, rapidement contrarié par les fautes de la métropole, tandis que nos revers ont procédé pour la plupart d’une absence lamentable de connaissances préalables, d’esprit de suite et de desseins arrêtés. En sera-t-il de même à l’avenir?


II.

Pour répondre complètement à cette question, il faudrait faire un examen détaillé de notre situation intérieure, qui me conduirait beaucoup trop loin. Je me bornerai à rappeler que l’œuvre coloniale est une œuvre de longue haleine et de longue portée, et que ce