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que ce furent ses envoyés, joints à ceux de l’héritier de Constantinople, qui vinrent proposer à l’armée l’expédition contre l’empire grec. Autant de témoignages qui montrent à découvert le rôle des Allemands dans la quatrième croisade. Ce rôle est celui qu’imposaient au roi des Romains ses intérêts de parti. On sait ce qui en résulta ; les deux prises successives de Constantinople, les trois incendies, le pillage de Sainte-Sophie, et cette destruction sauvage de tant de monumens qui subsistaient de l’antiquité classique ; Boniface en porte la honte devant l’histoire.

L’issue finale montre presque chacun des complices trompé dans ses espérances. Les défiances du doge empêchent qu’on n’élise pour chef du nouvel empire latin ce marquis de Montferrat dont il sait les relations avec Philippe et avec Gênes, rivale de Venise. Baudouin, comte de Flandre, est élu empereur, et c’est un échec pour la politique gibeline, car il paraît avoir été le chef du parti sincère qui voulait l’accomplissement de la vraie croisade en terre-sainte. Quant au nouvel empire, — brillante aventure où triomphent sans grand profit politique les barons français, — il sera faible et divisé, car Boniface, roi de Thessalonique, et les Vénitiens entrent dans le partage des dépouilles et ne seront pas des vassaux bien soumis. Philippe de Souabe avait espéré le trône impérial ; il remporte du moins une victoire : la croisade si bien préparée par Innocent III, son redoutable adversaire, a complètement et scandaleusement échoué. Les obstacles des distances et les infidélités de ses représentans ont empêché le pontife d’être régulièrement informé et de conserver la direction suprême de l’expédition. En vain a-t-il mêlé aux reproches indignés et aux menaces religieuses les résignations les plus patientes, les délais les plus prudens; évêques et légats lui ont désobéi; on a compté pour rien ses ordres, ses prières, les vœux solennels dont il était le gardien. L’arme de la croisade s’est retournée contre lui; lorsqu’on lui témoigne que la défense du nouvel empire latin absorbe, et au-delà, toutes les forces de l’armée, il ne peut que recourir à une nouvelle prédication et à de nouveaux préparatifs pour une autre croisade. Philippe de Souabe a réussi à faire triompher en partie pour ce qui est de l’Orient, et presque de tout point en Europe, sa politique gibeline, allemande, antibyzantine ; son riva), Othon de Brunswick, est ruiné. Venise, elle aussi, a obtenu ce qu’à travers tout elle poursuit impitoyablement: l’extension de sa puissance maritime.


IIV.

Les sombres couleurs dont le récit de la quatrième croisade se trouverait de la sorte empreint ne concordent pas, il est vrai, avec la