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attaque violente contre l’empire d’Orient. Le sultan Malek-Adel n’avait stipulé que pour l’Égypte; pourquoi l’expédition ne se dirigea-t-elle pas, selon le vœu de la plupart de ses chefs, vers la Syrie et la Palestine? Les historiens ont répondu jusqu’à ce jour en alléguant l’occasion qu’offrirent alors les troubles de l’empire grec; mais il semble que cette explication ne réponde pas à toutes les circonstances, tandis que M. Riant présente une interprétation à la fois compréhensive et logique.

Que l’influence de Venise ait pu être ici encore très active, il ne le conteste pas; peut-être a-t-elle été plus considérable qu’il ne consent à le reconnaître. Il n’y a qu’à observer quelles étaient les relations des deux états pour comprendre qu’une guerre entre eux n’avait pas de quoi étonner. La Romanie et Constantinople avaient été naturellement de bonne heure le but prochain et l’étape principale du commerce vénitien. La Grèce européenne et les îles, les parties restées byzantines de la péninsule italienne, formaient tout un monde qui rendait maîtres effectifs de la Méditerranée ceux qui dominaient sur ses nombreux et opulens rivages. Quant à la Grèce asiatique, ce qu’elle contenait encore de richesses était proverbial. Aussi Venise n’avait-elle pas eu de repos qu’elle n’y eût établi ses comptoirs avec de nombreux privilèges. Tantôt assistant les empereurs de Constantinople contre leurs ennemis, tantôt combattant la politique et les armées impériales, elle était parvenue à se faire donner tout un quartier de Constantinople, et une rue dans chacune des autres villes grecques. Un traité spécial avait confié à la flotte vénitienne la garde maritime de l’empire; peu s’en fallait que la ville des lagunes, rivale heureuse de Byzance, ne parût la vraie capitale de l’Orient. L’empire grec avait ainsi dans Venise sa plus sûre protectrice, à moins que, par momens, il ne parût aux yeux de tous qu’il devait voir en elle sa plus redoutable ennemie. Au milieu des vicissitudes de menaces et d’inertie dont se composait dès lors la vie politique de cet empire, Venise remarqua avec jalousie le progrès d’influence et de position qu’elle avait laissé gagner, dans Constantinople même, aux Génois et aux Pisans. C’en était assez pour qu’elle reprît contre les empereurs des hostilités qui, chaque fois, lui avaient réussi tout autant que les bons rapports pour consolider et étendre ses avantages. Son vieux doge Dandolo avait d’ailleurs des griefs personnels à venger. Autant de motifs qui suffiraient assurément pour expliquer qu’elle eût fait servir l’armée chrétienne à ses desseins vers le Bosphore comme devant Zara, afin de maintenir ouverte à son commerce la route de la Mer-Noire comme celle de l’Egypte et de la Mer-Rouge.

Il faut se rappeler avec quelle persévérante passion Venise a sans