Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui d’institutions hospitalières et religieuses; il y a ajouté une église, un couvent, un hospice, une bibliothèque, un marché, tout un groupe de fondations qu’on trouve désigné plus tard sous le nom de Sainte-Marie Latine ou de Latinie. On voit, après l’année 800 et jusqu’à la fin du règne, des envoyés porter annuellement à Jérusalem les aumônes impériales. Ce protectorat se montre efficace; les textes prouvent que les chrétiens d’Orient en recueillent une tolérance et une liberté suffisantes. Il dure après Charlemagne et jusqu’au milieu du IXe siècle pour passer ensuite aux mains des empereurs de Constantinople.

Au souvenir de ces rapports incontestables avec l’Orient byzantin et l’Orient arabe ajoutez celui des exploits convertisseurs de Charlemagne contre les païens d’Europe, — ce dont l’église lui sut tant de gré que ce fut l’origine du culte décerné plus tard à sa mémoire; — ajoutez l’opinion, devenue générale, que tant d’insignes reliques dont il avait enrichi les principaux sanctuaires de son empire n’avaient pu être que le prix de campagnes victorieuses ; tenez quelque compte de la confusion, facile pour l’esprit populaire, entre les Sarrasins d’Espagne et les Sarrasins d’Asie, et vous avez tous les élémens probables qui ont pu servir à former la légende. En quel temps a-t-elle pris une forme précise? Vraisemblablement à l’époque de la première croisade, quand l’énergique pape Urbain II a fait prêcher l’expédition, et qu’il a suscité ces écrits destinés à être répandus pour exciter les enthousiasmes populaires. Rien d’étonnant si, en de telles circonstances, une rhétorique officielle a songé à fortifier ses exhortations par des exemples imaginaires que fortifierait la gloire de ceux à qui ils seraient attribués, et que rendrait très acceptables au plus grand nombre l’illusion de la grande renommée. — Peut-être y a-t-il lieu de supposer la même origine et la même date à la légende, toute semblable, concernant Constantin.

S’il est vrai que les historiens aient renoncé à compter Constantin et Charlemagne parmi les prédécesseurs d’Urbain II dans l’œuvre des expéditions de terre-sainte, on lit encore dans les manuels pour l’enseignement de l’histoire que Silvestre II et Grégoire VII ont prêché la croisade. Qui de nous, entraîné par ce faible pour les dehors éloquens si pardonnable au collège, n’a lu avec intérêt la fameuse lettre circulaire de Silvestre II implorant au nom de l’église de Jérusalem les secours de l’Occident : « Levez-vous, soldats du Christ etc.! » C’est le point de départ obligé de presque toute histoire des croisades ; c’est le prélude des prédications par lesquelles les grands papes de la fin du XIe et du XIIe siècle soulèveront l’Europe. Qui de nous n’a remarqué, sur la foi de nos maîtres, l’émouvant contraste entre les terreurs de l’an mille, qui glaçaient en Occident tous les courages, et les brillantes espérances de la victoire ou du martyre en Orient, la terre-sainte