Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jugé de la sorte lorsque, il y a trois ans, elle a élu M. Riant comme un de ses membres ordinaires. Il est probable que les travaux de ce savant avaient été, pendant les années précédentes, d’un réel secours à la commission chargée du Recueil des historiens des croisades, et l’Académie a pu penser que son entière collaboration lui serait souverainement utile. Je voudrais rechercher si ces mêmes travaux n’ont pas déjà valu à la science historique, à l’enseignement, des résultats qu’on puisse regarder comme désormais acquis.


II.

L’histoire des croisades a une préface, qu’il faut bien se garder de négliger ou d’omettre : c’est la vaste période des pèlerinages, ouverte aussitôt après la passion du Christ, et qui, jusqu’aux croisades proprement dites, a ainsi duré environ mille ans[1]. Il ne faut pas confondre ces visites aux saints lieux, entreprises quelquefois par des groupes armés, mais dépourvus de caractère officiel, avec les grandes expéditions recevant leur mission de la cour de Rome et ayant pour but déclaré, au prix de grands avantages spirituels, la délivrance du saint-sépulcre. Que le sentiment religieux ait été dès la première période le principal ferment, cela reste incontestable; on s’en allait en terre-sainte, hommes et femmes, pour expier ses péchés, pour accomplir un vœu, pour pleurer sur le tombeau du Christ et acquérir des mérites. Mais il est clair aussi que l’humeur aventureuse, le désir du mouvement, l’esprit de commerce et de lucre, le goût du butin et les habitudes de la piraterie, avaient leurs représentans dans ces lointains voyages. Combien ne serait-il pas précieux d’en avoir les relations écrites? Quel tableau ne serait-ce pas, en particulier, des progrès de la science géographique ? Les routes de terre n’étaient praticables qu’à la condition que, dans les passages difficiles, sur les bords des torrens ou parmi les abîmes des Alpes, un saint Bénezet, gardien vigilant des ponts comme les pontifes de la Rome primitive, et des hospitaliers tels que ceux du Mont-Cenis et du Saint-Bernard, préparassent et entretinssent les voies. Quant aux routes de mer, elles furent pratiquées de bonne heure avec une audace qui nous confond aujourd’hui, et qui a été le premier élément des invasions normandes.

La Société de l’Orient latin, en publiant avec un soin extrême ce qu’on a conservé de ces récits, en ajoutant, comme elle le fera, une centaine au moins de textes à ceux qu’on connaissait déjà, rendra ce

  1. Voyez le très curieux mémoire de M. Ludovic Lelanne sur les Pèlerinages en terre-sainte avant les croisades (1845).