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Viennent ensuite les actes des conciles tenus en Orient par les Latins, ceux des conciles occidentaux, ceux des réunions capitulaires des grands ordres monastiques, et puis les témoignages littéraires et populaires, les poésies latines, françaises, allemandes, les recueils de prophéties ou d’anecdotes édifiantes, les lettres officielles ou privées suscitées par les croisades, les documens issus du culte et de la circulation des reliques, les titres de propriétés des innombrables établissemens orientaux, et ainsi de suite. Insistons sur ces dernières catégories, afin de montrer avec quelle ingénieuse originalité d’enquête inventive on sait de nos jours, interroger l’histoire en s’adressant aux vraies sources de la vie réelle, et en se faisant, par un effort énergique et continu, les propres contemporains des événemens qu’on veut tirer de l’oubli.

On sait quelle place considérable le culte des reliques occupait dans la vie religieuse et même civile du moyen âge. Sur les reliques on prononçait des sermens, sur les reliques on prêtait à gage et l’on prenait hypothèque. Un évêque de Soissons, en 1205, ne craignait pas d’escompter à l’avance, pour l’achèvement de sa cathédrale et pour la construction du pont de Châlons-sur-Marne, les richesses que lui vaudrait une relique récemment acquise. Pour abriter ces trésors, un art pieux fabriquait de merveilleuses pièces d’orfèvrerie, ou bien élevait des châsses de pierre ou de marbre telles que la Sainte Chapelle et la Spina de Pise. Les pèlerins arrivaient en foule, les offrandes et les aumônes se multipliaient, ainsi que les avantages spirituels et les privilèges royaux. Le pèlerinage amenait des marchands ; la périodicité des visites attirait des foires périodiques ; les abris temporaires devenaient permanens, les maisons succédaient aux cabanes, les villages et bourgs naissaient, au grand profit du haut et du bas suzerain. Rois, seigneurs laïques et clercs furent donc empressés à se procurer en Orient de telles sources de richesses. La quatrième croisade surtout y donna lieu : on se rappelle à quel pillage Constantinople, où les empereurs byzantins avaient réuni le plus grand nombre des reliques de la terre-sainte, fut alors en proie. À côté de ce pillage, il y eut des distributions officielles et régulières. Dans l’un et l’autre cas, les envois faits en Europe donnèrent naissance à beaucoup de documens écrits, car de titres d’authenticité plus ou moins autorisés et explicites dépendait le plus ou moins de valeur d’une relique. Les présens impériaux étaient placés dans des châsses de voyage et confiés à des envoyés spéciaux munis de chrysobulles, auxquels on joignait des inventaires exacts, des chartes dites d’authentique, des comptes rendus d’enquêtes spéciales. À l’arrivée, la châsse de voyage était déposée en lieu, sûr, les personnages autorisés à