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plusieurs savans ont commencé de rompre, sur ce grand sujet, avec une sorte d’histoire traditionnelle ; on a entrepris tout un travail de critique faisant justice de tant de fautes ou d’incertitudes fidèlement et aveuglément transmises : Hurter, dans son Histoire d’Innocent III, M. de Sybel dans sa monographie de la première croisade, donnaient l’exemple. On se rendit compte qu’avant de tenter la restitution de l’édifice, il convenait d’en rechercher les bases et jusqu’aux derniers débris, c’est-à-dire qu’il fallait rassembler avec soin les témoignages et les sources historiques. La tâche était trop considérable pour que les efforts isolés pussent y suffire ; la pensée vint de part et d’autre d’associer les efforts individuels et indépendans.

Il faut conseiller aux historiens de ne pas médire des bibliophiles, qui peuvent, à leur manière, creuser d’utiles sillons. Pendant qu’un groupe allemand, préoccupé de l’histoire de la terre-sainte, se laissait aller de plus en plus dans ses recherches à des vues religieuses plus que scientifiques, quelques fins érudits français, amis des livres, et que leurs études rattachaient à l’Orient, M. le marquis de Vogüé, — l’habile auteur des Églises de terre-sainte, — et M. Ch. Schefer, le savant directeur de notre École des langues orientales, remarquaient avec peine, en bibliophiles non égoïstes, à quels prix déraisonnables parvenaient dans les ventes publiques les moindres opuscules sur l’histoire et la géographie de la Palestine. Pour eux, il ne s’agissait pas d’une innocente manie à satisfaire : il leur était évident qu’un mouvement d’études chaque jour plus accentué donnait lieu à une louable recherche qu’il devenait trop difficile et trop coûteux de satisfaire. MM. de Vogüé et Schefer s’entendirent avec un de leurs amis, qu’ils savaient très expérimenté dans la connaissance des bons livres et homme d’initiative, M. le comte Riant. On fut d’avis qu’on était en présence d’une tâche qui, en grandissant, présenterait un caractère vraiment scientifique et national, et qu’il convenait que Paris en eût l’honneur plutôt que Berlin. Au premier groupe s’adjoignirent MM. de Rizière, Léopold Delisle, Egger, de Mas-Latrie, Victor Guérin, et le docteur suisse Titus Tobler, qui s’était distingué par de curieuses publications de textes relatifs à la terre-sainte. On fit un appel au public. M. Riant rédigea les statuts, fut à la fois le directeur, le secrétaire, le banquier, et la nouvelle société fut fondée, au commencement de 1875, sur le modèle des clubs littéraires anglais, du Roxhurgh Club ou de la Camden Society. La part nécessaire était faite à la curiosité bibliographique, puisqu’il y avait, pour une certaine catégorie de sociétaires, des réimpressions phototypographiques de pièces uniques ou rarissimes, des volumes de textes à exemplaires