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migrateurs, on pourrait en assurer la libre circulation en fixant à l’avance les dimensions des grils, de façon à permettre aux saumons de les franchir et à la montée d’anguilles de passer au travers des barreaux. Il en est de l’appropriation des eaux comme de celle des terres, il n’y a que ceux qui sont appelés à récolter qui se donnent la peine de semer; et si le premier qui a clos un terrain pour le labourer en avait été empêché sous prétexte que cette clôture gênerait le pâturage commun, il n’y aurait pas eu d’agriculture possible. Ce sont les étangs, c’est-à-dire les eaux privées, qui produisent aujourd’hui la plus grande partie du poisson livré à la consommation. Qu’on autorise la clôture des eaux courantes et on les verra bientôt donner des résultats analogues.

La conclusion de ce qui précède et qui est à peu près celle à laquelle la commission sénatoriale a abouti, à la suite de la longue enquête à laquelle elle s’est livrée, c’est que le dépeuplement des cours d’eau en France est général ; qu’au point de vus de la police, la législation actuelle serait à peu près parfaite si elle était appliquée; et que les pouvoirs publics sont suffisamment armés pour empêcher, le jour où ils le voudront, la destruction des poissons par des procédés abusifs.

Il s’est donc passé ici ce que nous avons vu dans bien d’autres circonstanciés. En constatant la pauvreté de nos eaux, on s’est imaginé qu’il fallait des lois nouvelles pour y remédier; puis, quand on est allé au fond des choses, on s’est aperçu que les lois anciennes étaient excellentes et qu’il ne leur manquait que d’être observées. Le gouvernement se décidera-t-il à les faire respecter et à donner satisfaction aux vœux de la commission sénatoriale? C’est peu probable. Il trouvera sans doute que ce qu’on lui demande n’est pas digne de lui, il préférera recommencer la folie de Huningue, et dépenser des millions pour reconstituer cet établissement grandiose dont le pays n’a tiré aucun profit. Peut-être aussi, comme quelques-uns le demandent, installera-t-il une nouvelle division au ministère de l’agriculture, ou créera-t-il des écoles d’aquiculture, pour enseigner aux populations à faire à grands frais ce que la nature fait gratuitement. Il aura ainsi des places et des décorations à donner à ses amis ; quant aux poissons, c’est bien le moindre de ses soucis.


J. CLAVE.