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pour fonder et pour garder ces dernières possessions, il est inutile d’avoir une population exubérante. Ici la qualité importe plus que la quantité. Les émigrans ne peuvent se consacrer à la main-d’œuvre, pour laquelle les indigènes sont mieux constitués qu’eux; leur rôle se borne au gouvernement, à la police, à l’administration, à la direction des travaux. Un certain nombre d’employés, de contremaîtres, de chefs d’industrie et d’entreprises agricoles, instruits, intelligens, courageux, voilà, avec de grands capitaux, les élémens de la colonisation future. C’est précisément ce que nous trouverons sans peine dans l’ardente jeunesse qui va sortir de nos écoles. Encore une fois, nous n’avons pas besoin d’autre chose. Voyez l’Angleterre : la population totale de l’empire britannique est de 241 millions d’âmes, gouvernées par 35 millions d’habitans du Royaume-Uni et 11 millions de descendans d’Anglais disséminés dans les autres parties de l’empire. De même pour la Hollande. Les possessions néerlandaises couvrent une étendue de 35 milles carrés, à peu près le cinquième de la superficie totale de l’Europe, avec une population totale de 24 à 25 millions d’habitans, gouvernés par un tout petit pays qui compte tout au plus 2 millions 1/2 d’âmes. Et la France, qui a 37 millions d’habitans, ne serait pas assez peuplée pour gouverner son empire colonial, qui n’a pas 30 millions d’âmes? Allons donc! elle possède tout ce qu’il faut, non-seulement pour le gouverner, mais pour l’accroître dès qu’elle y travaillera sérieusement.

Est-il besoin de réfuter aussi les argumens tirés de notre prétendu manque d’aptitudes colonisatrices? Assurément non. Ce lieu-commun est devenu insoutenable. A ceux qui nous réfutaient les qualités nécessaires à l’expansion extérieure, on a répondu sans peine, en rappelant ce que nous avons fait jadis, ce que nous faisons encore aujourd’hui. Toutes proportions gardées, il serait difficile d’établir en quoi les conditions de la domination française en Cochinchine sont plus mauvaises que les conditions de la domination anglaise dans l’Hindoustan. Voilà une colonie qui, née d’hier, ne coûte déjà plus rien à la métropole. L’Algérie est certainement aussi prospère, au point de vue économique, que la seule colonie anglaise qui se trouve, comme climat, territoire et population, dans une situation analogue, c’est-à-dire la colonie du Cap de Bonne-Esperance. Nos Antilles supportent aisément la comparaison avec les îles voisines placées sous la domination de la Grande-Bretagne. Enfin, si les Anglais font chaque jour des acquisitions nouvelles, la France, malgré toutes ses équipées en Europe, n’a-t-elle pas reconstitué, dans l’espace de cinquante ans, un domaine colonial qui compte, comme je viens de le dire, près de 30 millions d’âmes et dont le mouvement commercial atteindra bientôt 1 milliard?