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qu’on a surtout jusqu’ici cherché à appliquer les procédés de la fécondation artificielle. Les œufs, après avoir été extraits du ventre de la mère et fécondés, comme nous l’avons dit plus haut, par la laite du mâle, sont rangés sur des claies formées de baguettes de verre et placées elles-mêmes dans des auges où l’on fait passer un léger courant d’eau. Ils doivent être surveillés avec soin et, tous les jours, ceux qui ont perdu leur transparence doivent être enlevés, sous peine d’être, les uns après les autres, envahis par les byssus et de perdre leur faculté germinative[1]. Les petits une fois éclos, tombent au fond des auges, où ils restent à l’abri jusqu’au moment oh, ayant résorbé leur vésicule, ils peuvent pourvoir à leur nourriture et être abandonnés à eux-mêmes.

La découverte de la fécondation artificielle date, paraît-il, du siècle dernier, à moins qu’elle ne remonte plus haut encore[2], et aurait été faite à peu près simultanément par un conseiller suédois, nommé Lund, et un lieutenant allemand du nom de Jacobi ; mais elle était tombée dans l’oubli lorsqu’un simple pêcheur des Vosges, appelé Remy, qui certainement n’en avait pas eu connaissance, la mit en pratique, vers 1840, pour multiplier la truite dans les ruisseaux de ces montagnes. Le procédé qu’il employait, expérimenté d’abord par MM. Berthot et Detzem, ingénieurs des ponts et chaussées, fut étudié par M. Coste, qui, dans l’espoir de l’appliquer au repeuplement général des eaux de la France, proposa au gouvernement de construire, aux environs de Huningue (Haut-Rhin), un établissement dans lequel on pourrait recueillir les œufs fécondés des espèces de poissons les plus précieuses, les placer dans des appareils d’incubation convenablement disposés et les distribuer ensuite, à un certain degré de maturité, sur tous les points du territoire. Une somme de 30,000 francs avait été d’abord demandée pour cet objet; mais les développemens qu’on crut devoir donner à cet établissement coûtèrent vingt fois plus. Aujourd’hui qu’il est entre les mains des Allemands, nous n’avons pas à revenir sur les critiques auxquelles il a donné lieu pendant l’administration française. Bornons-nous à émettre le vœu qu’il ne soit pas remplacé, tout au moins dans les conditions où il a été installé.

M. Coste sut si bien faire partager à tous l’enthousiasme qui le possédait que, pendant plus de quinze ans, le public s’engoua de pisciculture et s’adonna même en chambre à cette pratique, qui

  1. Pathologie des poissons, par M. Michel Girdwoyn. Paris, 1880; Rothschild.
  2. M. de Bon, dans son ouvrage sur la Pisciculture fluviale et maritime, l’attribue à un moine de l’abbaye de Réome (Côte-d’Or), nommé dom Pinchon, qui vivait au XIVe siècle.