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de pays neufs, où les trésors naturels s’offrent en foule à ceux qui sauront les premiers s’en emparer. La France, a-t-on dit, est essentiellement une fabrique de capitaux. Aussi, quoique son gouvernement se soit livré depuis trois ou quatre ans à un gaspillage effréné, quoiqu’elle-même se soit laissé duper par des faiseurs qui l’ont trompée et pillée, possède-t-elle toujours pour l’exportation une quantité considérable de ce produit de son travail et de son économie. Enfin une dernière découverte, et celle-ci fort triste, est venue corroborer toutes les autres. Dans la grande concurrence industrielle des nations européennes, la France a remarqué tout à coup qu’elle allait se laisser distancer, non-seulement par ses anciennes rivales, mais par des rivales nouvelles qui déjà lui avaient enlevé un grand nombre de marchés. Ce n’était plus seulement avec l’Angleterre qu’elle avait à lutter : l’Autriche, l’Allemagne, la Russie, l’Italie entraient dans la lice, fabriquaient des produits similaires aux biens et parvenaient à les insinuer partout où jadis on ne recherchait que les articles sortis de ses usines et de ses ateliers. Pour maintenir sa prospérité industrielle, il fallait donc qu’elle trouvât le moyen d’augmenter le nombre de ses débouchés et se fît d’autres cliens à la place de ceux qui lui échappaient. Sans cela, sa richesse, qui l’avait consolée naguère de ses désastres, allait décliner comme sa puissance politique. C’est de l’ensemble de ces découvertes qu’est sorti le mouvement en faveur de l’expansion coloniale.

On voit donc qu’il n’a rien de spontané, rien de factice; qu’il tient, au contraire, à des causes nombreuses, profondes, déjà anciennes pour la plupart, et dont l’effet ne pouvait manquer de se faire sentir un jour ou l’autre. Mais peut-être pensera-t-on que ces causes disparaîtront une à une, et que la France se dégoûtera alors des mœurs coloniales qu’elle semble vouloir adopter en ce moment. Ce serait mal juger l’avenir. En ce qui touche la politique, il n’est que trop vraisemblable, hélas! que la situation de l’Europe ne se modifiera pas de longtemps, du moins à notre profit. L’état de nos finances et de notre industrie est au contraire, susceptible d’améliorations rapides; mais il est bien clair qu’il ne changera cependant que si nous faisons tout ce qu’il est nécessaire de faire pour cela. Or, quand le remède réussira, pourquoi l’abandonnerions-nous? Mais ce n’est pas tout, car il faut se préoccuper encore des conditions morales dans lesquelles les progrès constans de la démocratie placeront notre pays. Ils préparent, on doit le croire, des générations pour lesquelles l’émigration deviendra une nécessité. On sait pourquoi, sous l’ancien régime, nos colonies se sont fondées si vite et si heureusement. Il y avait alors en France, comme il y a encore en Angleterre, grâce au droit d’aînesse, une classe nombreuse de personnes dont la fortune ne répondait pas à l’éducation; aussi ne trouvaient-elles pas