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7 septembre 1794, Thiboult fut incorporé à la 5e compagnie des nobles à pied; il fut nommé fourrier le 12 août de l’année suivante.

Le Journal de Thiboult, tenu régulièrement à partir de l’incorporation du Condéen, est le plus souvent bien vide de faits. Ce sont des variations sur le thème du rapport si connu : « Rien de nouveau. » Du 7 septembre 1794 au 13 août 1796, les nobles à pied ne brûlent pas une cartouche. Le temps se passe en exercices, en parades et en revues d’honneur ou d’effectif, passées par les princes ou les généraux et commissaires autrichiens. D’ailleurs, les marches et les contremarches sont fréquentes. Durant ces deux années, il n’est pas une ville, pas une bourgade du grand-duché de Bade et du Wurtemberg que ne traversent ou n’occupent les troupes de Condé. On va de Rastadt à Carlsruhe et à Spire; on redescend jusqu’à la frontière suisse; on revient ensuite jusqu’à Kensingen, puis on gagne Rottenburg et Altdorff. On marque le pas, sans relâche, entre le Neckar, le Danube et le Rhin. Il semble que, soit par jalousie, soit par défiance, les généraux autrichiens considèrent l’armée de Condé comme un embarras et qu’ils s’efforcent de l’employer le plus rarement possible. Le seul service utile des Condéens se borne à quelques rares grand’gardes sur la rive droite du Rhin. Ces factions nocturnes sont des plus pénibles, car c’est au cœur de l’hiver et il fait 15 degrés de froid ; mais, au moins, quand ils sont là, l’arme au bras, les pieds dans la neige, l’œil au guet et l’oreille aux écoutes, les Condéens sont soutenus, encouragés par la pensée qu’ils servent à quelque chose. Ils ne conservent pas cette illusion dans les marches forcées sans but et dans les longs mois au cantonnement, où les plus intrépides perdent toute énergie. Quelle armée résisterait à une pareille inaction?

Pour surcroît de maux, la discipline est relâchée, la solde insuffisante et irrégulièrement payée, les fournitures de mauvaise qualité, les vivres hors de prix ; enfin, les soldats nobles, mal vus de la population des villages, ont chaque jour des rixes sanglantes avec les paysans, et il y a de nombreux conflits d’autorité entre les chefs de l’armée de Condé et les généraux, les principicules et les magistrats allemands. Le Journal de Thiboult donne sur tous ces faits bien des témoignages. « L’autorité n’est respectée en rien, » écrit-il à la date du 30 septembre 1795. A propos d’un ordre du jour portant que la solde sera prochainement augmentée, il a cette remarque : « Voilà qui produit un grand plaisir, mais il y a encore bien des incrédules ! » Plus loin, il se plaint que l’état-major allemand substitue 40 kreutzers par mois aux fournitures de linge et chaussures qu’il Faisait précédemment en nature.» Cela est insuffisant, surtout en raison des prix excessifs de tout ce qui se vend dans le camp. Il n’y a rien qui ne soit vendu au poids de l’or. Les vendeurs sont insatiables.