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On a dit souvent et on répétait encore dans une des dernières séances du conseil municipal : « Recommander l’épargne aux travailleurs est une dérision, leur salaire étant déjà insuffisant pour subvenir à leurs plus pressans besoins. » Cette formule est l’expression d’une idée fausse qui obscurcit le problème. Ceux qui n’ont pas observé ni réfléchi sont généralement disposés à croire que l’amélioration du sort de l’ouvrier tient à l’élévation de son salaire : c’est une erreur. Le salaire, quel qu’en soit le chiffre, n’a de valeur que par la somme des utilités qu’il procure. C’est par l’abaissement des prix relativement au pouvoir d’achat que le bien-être se répand dans un pays. La conception de la vie à bon marché, résultant d’un travail bien conduit et d’une production abondante, en coïncidence avec une part plus forte pour la main-d’œuvre dans le partage des revenus industriels, est un idéal vers lequel il faut tendre ; ce n’est point une utopie creuse. Des produits dont le prix de revient serait abaissé par des perfectionnemens successifs pourraient être obtenus en quantité beaucoup plus grande et vendus à très bon marché avec un bénéfice plus grand pour le producteur et un salaire croissant pour l’ouvrier. On conçoit, par exemple, qu’au lieu de 1,000 articles livrés à 1 franc, et procurant une recette de 1,000 fr., le même article offert au nombre de 1,250, au prix réduit de fr. 80, donnerait la même somme de 1,000 francs à partager comme revenus entre les divers agens de la production et de la vente : il n’y aurait aucune raison pour que les salaires, c’est-à-dire la part de la main-d’œuvre dans ce revenu collectif de 1,000 francs, fussent réduits, et déjà, de ce chef, les consommateurs ouvriers réaliseraient, par l’abondance et le bon marché des produits, un avantage effectif de 20 pour 100. Peut-être même que le besoin d’un travail plus intelligent et plus soutenu pour obtenir une production plus forte inciterait les employeurs à majorer les anciens salaires. L’ouvrier arriverait ainsi à un degré d’aisance qui lui permettrait de pratiquer l’économie. Des entreprises de commerce et d’industrie, gérées avec sagesse et probité, contrôlées mieux qu’on ne le fait aujourd’hui par divers participans, offriraient aux petites économies un placement assuré, et en ce cas le dividende attribué au capital, s’additionnant avec la paie du travail d’atelier, composerait un revenu croissant comme par le mécanisme de l’intérêt composé et conduisant l’ouvrier prévoyant à la sécurité des vieux jours, à l’indépendance qu’il ambitionne. Cette marche est la seule pouvant conduire, non pas à ce que le socialisme inconsidéré appelle l’abolition du salariat, mais à sa rénovation, à un affranchissement réel, à un bien-être compatible avec le bon ordre des sociétés : ainsi serait entretenue et pondérée, cette activité des esprits et des bras qui décide du sort