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Dans la première phase de l’entraînement, et à mesure que des réalisations out aiguisé le goût des affaires et condensé dans des mains habiles la force impulsive des capitaux, les entreprises, grandes ou petites, surgissant de toutes parts et sous toutes les formes, vont d’abord payer tribut à l’état. Depuis les compagnies financières jusqu’aux plus modestes associations privées, il y a matière à contrat : le premier profit est pour l’enregistrement et le timbre. Le succès réel ou apparent de chaque affaire engendre des affaires nouvelles. De grandes fortunes sont réalisées par les émissions avec primes : on voit à la Bourse des sommes énormes captées du jour au lendemain par un coup d’audace. le goût du luxe saisit aussitôt les nouveaux enrichis et les obsède. Il leur faut des installations splendides, des curiosités artistiques, des toilettes rares, des plaisirs stupéfians : la pluie d’or qui est tombée sur eux déborde sur les artistes, les fournisseurs renommés, les ouvriers d’élite, lesquels, étant sollicités, augmentent sans résistance leurs rémunérations, leurs gains, leurs salaires. L’aisance exceptionnelle de ceux-ci les pousse à la dépense : travaillant, ils font travailler, et, jusqu’aux bas degrés où l’existence est pénible, l’aisance descend goutte à goutte par une sorte d’infiltration. Chacun, dans son milieu, se laisse aller à des consommations plus fortes en vin, en sucre, en café, en tabac, en locomotion, en correspondances. La fiscalité française, si habilement calculée pour pénétrer partout et saisir jusqu’aux moindres remuemens de la vie sociale, profite de tout cela. En sept ans, de 1875 à 1881 inclus, les recettes du trésor dépassent les provisions budgétaires de 580,701,788 francs, chiffre officiel. On en vient peu à peu, dans les hautes régions, à considérer les excédens de recettes comme un résultat normal et permanent, de même que, dans les ateliers, on se figure que les salaires surfaits sont une conquête définitive. On n’aperçoit pas que l’accroissement des revenus est le résultat de ce monnayage des valeurs de Bourse dont j’ai décrit plus haut le procédé et les effets. On ne remarque pas que cette extension presque générale des pouvoirs d’achat, n’étant pas contre-balancée dans la vie réelle par un accroissement des produits, aboutit à un enchérissement presque général des produits et des services. On croyait à une opulence durable et on a agi en conséquence. On a dépensé outre mesure et on s’est engagé imprudemment pour l’avenir. On s’est déshabitué de cette judicieuse économie qui est la force des gouvernemens et qui a été longtemps la sécurité des familles. Le jour où les populations ouvrent les yeux sur cet état de choses est pénible,.. et nous en sommes là ! Le mal n’est pas sans remède, mais le remède est l’œuvre du temps : c’est la disparition de ces valeurs de mauvais aloi qui faussent le nivellement naturel des prix ; c’est le retour à