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subissent une dépréciation foudroyante. Les terrains, les maisons les loyers, les salaires, beaucoup de marchandises tombent à des prix inférieurs à ce qu’ils étaient avant 1870. Les banques de construction disparaissent, laissant des immeubles audacieusement surfaits ou des bâtisses inachevées. La place de Vienne inflige à l’Autriche-Hongrie une débâcle financière dont elle n’est pas encore complètement remise.

Cette sorte d’enquête sur les orgies de spéculation qui ont fait époque n’était pas une digression inutile. Il était indispensable de vérifier par l’histoire les données du problème économique auquel cette étude est consacrée,


IV.

Les causes de perturbation étant connues, il sera facile d’en signaler les effets : la preuve est encore sous nos yeux. Ces effets, du moins les plus saillans, sont l’excès dans les dépenses publiques et privées, la spéculation aveugle sur les terrains et le bâtiment, la désertion des campagnes au détriment de l’agriculture.

Ces émissions de titres, qui sont en grande partie sans raison d’être commerciale, sans action sur les forces productives du pays, ne sont pas autre chose que des fabrications d’assignats : elles en ont les effets, et d’autant plus dangereux qu’ils échappent aux yeux de la foule[1]. Ces assignats (je parle des titres qui n’ont pas leur contrepartie dans une production échangeable) ont un privilège : c’est de pouvoir se transformer instantanément en monnaie métallique, et, quand ils se multiplient d’une façon désordonnée, quand le jet déborde sur toutes les transactions, la société se trouve dans la situation d’une famille à qui survient un héritage et dont les ressources sont soudainement élargies : elle a souffert de la gêne, elle a soif de bien-être et elle abuse de son nouveau pouvoir d’achat. On dira peut-être que cet enrichissement éphémère du pays, ce gonflement illusoire du capital social, intéresse seulement ceux qui font trafic des capitaux, et que la généralité du pays n’en ressent pas les effets. Voyons donc comment les choses se passent quand sévit la contagion de l’agiotage.

  1. Les papiers-monnaie ont un cours public fixant leur rapport avec les espèces métalliques. Pour les assignats de la révolution française, par exemple, j’ai sous les yeux le tableau officiel, jour par jour et par département, de la valeur des assignats en monnaie réelle. Partant du pair, en 1789, on arrive en ventôse an IV, à 8,137 francs en papier pour une pièce d’or de 24 livres. On avait, du moins, une mesure pour les échanges. En 1881, on a pu avec 125 francs versés sur le papier de certaine compagnie réaliser chez l’agent de change 3,000 francs en beaux écus. Il est vrai qu’à présent, ce même papier ne vaut pas beaucoup plus que l’assignat de l’an IV.