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II.

L’élévation des prix, autrement dit l’amoindrissement des valeurs monétaires, semble un fait naturel dans l’ordre commercial : on le constate en tout temps et en tout pays. Ordinairement la progression est lente et à peine sensible, mais elle se manifeste quelquefois par de brusques secousses qui occasionnent des souffrances particulières ou des embarras publics : c’est ce qui arrive aujourd’hui. Le mal dont on se plaint a-t-il pour cause une surabondance de monnaie métallique? Non; le métal monnayé, instrument des échanges, facilite la distribution des revenus particuliers, mais il n’augmente le revenu national qu’au moment où il est introduit à l’état de marchandise importée et dans la mesure de sa valeur commerciale ; c’est une très faible addition à l’énorme total du revenu collectif qui règle le niveau des prix, — et d’ailleurs les autorités les plus compétentes sont d’accord pour déclarer que le stock du métal monnayé a été plus faible en ces dernières années qu’il y a vingt ans[1]. La frappe de l’argent a été suspendue, et l’or s’est écoulé au point de donner parfois des inquiétudes.

La monnaie fiduciaire, les billets de banque sont, pour la plus grande partie, la représentation des matières précieuses retirées de la circulation pour former l’encaisse. Les billets en excédent de l’encaisse correspondent à des escomptes commerciaux, c’est-à-dire

  1. Il a été publié, dans le Journal officiel du 10 mai 1883, un tableau des espèces d’or et d’argent fabriquées en France depuis l’introduction du système décimal en 1795 jusqu’au 31 décembre 1882. Il se résume ainsi : ¬¬¬
    Or 8,651,264,340 francs.
    Argent 5,297,679,864 »
    Bronze 63.591,224 »
    Ensemble... 14,012,535,428 francs.

    Beaucoup de personnes ont dû croire que ce total exprimait la somme des monnaies métalliques circulant actuellement en France : ce serait une grande erreur. Ce chiffre de 14 milliards représente l’ensemble de la fabrication dans le cours de quatre-vingt-huit ans La plus grande partie des pièces ont disparu par l’exportation commerciale, la refonte, l’emploi pour la bijouterie, les pertes par accident. On ne peut pas savoir avec certitude ce qu’il en reste dans la circulation. Les personnes expérimentées en ces matières estiment à 5 milliards de francs environ le résidu actuellement disponible, et malgré cette énorme déperdition, la richesse en monnaie métallique de la France dépasse encore, et de beaucoup probablement, celle de tous les autres pays.