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C’est l’égoïsme foncier de l’homme dans l’adultère que ce héros de fantaisie met à nu. Le moyen de lui reprocher cet égoïsme? La façon même dont il refuse, à l’occasion, de l’exprimer, est la façon la plus piquante d’en convenir. Quand la marquise, à la fin de cette scène, le presse d’avouer qu’elle l’assommerait en restant plus longtemps: « Non, fait-il, je ne le dirai pas;.. je suis trop bien élevé... » Lorsqu’au troisième acte, il va se représenter chez elle et implorer son pardon, comme elle se récrie et s’inquiète, par manière de raillerie, s’il ne demande pas autre chose : « Non, répond-il, je ne suis pas assez maladroit pour demander autre chose aujourd’hui. » Comment ne pas désarmer devant la bonne grâce qu’il met à lever, en souriant, son masque? Le public lui pardonne, et il devine que la marquise fera de même. Au baisser du rideau, le mari, la femme et le tiers rentrent dans cette salle à manger d’où, au commencement de la pièce, on les a vus sortir. Cette fois, le ménage à trois paraît constitué suivant les usages mondains et sans scandale; si la petite marquise accepte l’amour du vicomte, elle sait ce qu’elle prend : il n’y a plus de malentendu. « Le législateur, a dit Boisgommeux au marquis, n’a pas interdit aux gens mariés de faire des bêtises; mais il a décidé qu’en pareil cas, le mari doit aller en ville! — Tandis que la femme, a repris la marquise, doit rester chez elle ! »

Ainsi l’adultère se met en route, mais sans tapage, et selon « le train ordinaire de la vie : » Sainte-Beuve serait content. Les auteurs achèvent leur comédie sans nulle fatuité de sermonnaires. Pourtant ne vaut-elle pas un sermon? Le vice de l’homme s’y trouve dénoncé plus clairement, à mon avis, qu’en aucun ouvrage de ce demi-siècle, avec plus de justice qu’en la plupart, et, si nous nous souvenons des Deux Sœurs, avec plus de succès: ai-je montré par quel artifice? MM. Meilhac et Halévy obtiennent du public qu’il laisse intervenir leur malice dans les discours d’un personnage, pour le confesser, et, par le tour même de cette confession, le juger. Il m’a paru plus curieux de signaler, à propos de la Petite Marquise, ce rare procédé, que de louer l’habile manière dont la pièce est composée, la fantaisie qui abonde dans les rôles du marquis et de la soubrette, ou, pour m’attacher à cette reprise, la verve de Mlle Magnier, le naturel de M. Noblet, et la finesse de M. Saint-Germain. La Petite Marquise restera comme le chef-d’œuvre d’un genre qui peut aller plus loin, en certaines matières, que tout autre, et que j’appellerai, faute d’une définition meilleure, la comédie ironique.


LOUIS GANDERAX.