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Max a répondu simplement, avec cette candeur particulière que lui prête l’auteur : « Puisque c’est l’usage ! » Ainsi donc ces « aveux impossibles» au duc de Beaulieu, le vicomte de Boisgommeux peut les faire. « Mais, conclut la marquise, maintenant qu’il n’y a plus que moi, maintenant que c’est vous, en quelque sorte, qui êtes mon mari... — Ah ! fait Max, un peu gêné dans ce nouveau rôle et vexé par ce nouveau titre. — A vous, maintenant, à vous! à vous ! — Oui, répète-t-il, à moi ! à moi! » et il s’efforce manifestement de se convaincre de son bonheur. La marquise voit l’effort : « Qu’avez-vous ? demande-t-elle. Est-ce que, par hasard, vous ne seriez pas ravi? — Pas ravi, répond-il, quand vous faites pour moi... beaucoup plus que je n’aurais demandé! Pas ravi... quand vous me faites tant de sacrifices !.. Car m’en faites-vous, mon Dieu! m’en faites-vous? Votre situation dans le grand monde, votre réputation... — Tout, tout... — C’est beaucoup peut-être! »

Sent-on percer encore, à travers la naïveté du personnage, la raillerie secrète de ceux qui le gouvernent? Par le petit trou qu’elle fait, se soulagent les exigences morales du public. Impunément, Boisgommeux va redire tout ce que disait naguère, à son grand dommage, l’infortuné duc de Beaulieu; et ne doit-il pas le redire? Les situations pareilles portent les mêmes mots, comme des arbres pareils portent les mêmes fruits : « Ainsi, soupire l’amant résigné, nous allons vivre tous les deux? Qu’est-ce que nous ferons? — Nous irons en Suisse... — Oh! la Suisse en hiver! — Nous irons en Italie... à Venise... — J’attendais Venise... » Il continue de se déclarer ravi, mais il interroge la marquise sur les conventions qu’elle a faites avec son mari. »Les plus simples du monde... Mon mari m’a redemandé sa liberté et m’a rendu la mienne. » Alors Boisgommeux éclate et la verve de l’écrivain se donne un libre cours : « Il vous a rendu?.. — Ma liberté, ma liberté tout entière. — Mais il n’a pas le droit!.. Certainement non, il n’a pas le droit!.. Ah! bien, ce serait joli, si le jour où il a envie de se débarrasser de sa femme, un mari n’avait qu’à lui dire : Vous êtes libre!.. et si la femme, après cela, n’avait qu’à s’en aller tomber chez un pauvre jeune homme!.. — Oh!!! » — La marquise s’indigne; mais, au lieu de nous indigner avec elle, nous rions d’un excellent rire, parce que nous reconnaissons, en écoutant les paroles du héros, le timbre ironique de l’auteur. « Oui, déclare Boisgommeux, il y a de ces responsabilités devant lesquelles un gentleman... — Des phrases, tout cela; des phrases... Vous ne m’avez jamais aimée! — Je vous ai aimée en homme du monde! » Voilà derechef ce mot, caractéristique du personnage; MM. Meilhac et Halévy ont pris soin, pour cette reprise, d’en marquer plus encore le sens par une étourderie nouvelle qu’ils prêtent à Boisgommeux : « Vous m’en voulez, s’écrie le vicomte, vous m’en voulez, pourquoi? Parce qu’au lieu de penser exclusivement à vous, je pense exclusivement à moi! »