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encore lui en savoir gré et le tenir pour un admirable artiste. Cette qualité-là est si rare ! Elle disparaît si déplorablement aujourd’hui ! Personne ne voit plus le beau ; personne n’a plus cette religion, qui a tant contribué à la gloire des artistes de l’antiquité et de la renaissance ; personne n’a plus ce sens de la perfection que tout le monde avait à Athènes, et que Florence ou Venise ont quelquefois retrouvé. La plupart des artistes s’arrêtent au pittoresque et ne vont pas au-delà ; les autres tombent dans la banalité ou la fantaisie. Quelques-uns, sous prétexte de vérité, cherchent la platitude et la laideur. Hélas ! ils vont plus loin, ils érigent leur impuissance en système. Ce que la nature produit de rebutant les attire ; la vulgarité les transporte; la difformité les séduit; ils feraient descendre l’art si bas qu’ils réussiraient à le déshonorer. Ayons le courage de le dire, il faut une intelligence plus haute, un esprit plus large, un sentiment plus vrai de l’art pour faire la Vénus de Milo que pour créer les paysages de M. Caillebote. Remercions donc les peintres comme M. Baudry de s’obstiner à chercher ce que leurs contemporains ne cherchent plus et de conserver avec entêtement leur conviction et leur foi. S’ils ne sont pas récompensés comme il convient, à l’heure présente, l’avenir les dédommagera. La mode ne pourra jamais rien contre les œuvres fortes ou gracieuses dont le Triomphe de la loi est un si précieux spécimen, et qui sont le produit d’une science profonde et d’un sentiment exquis de la beauté éternelle.

Un maître encore, malgré ses inégalités et ses défauts, un maître parce qu’il cherche le beau, c’est M. Puvis de Chavannes. Personne, peut-être, ne sait composer un tableau d’une façon plus grande et plus personnelle. Qui ne se souvient de la Paix et la Guerre ; de Marseille, porte de l’Orient ; de Ludus pro patria, et de tant d’œuvres imposantes? Le dessin n’en était pas assez précis? — Oui, certes, mais que de caractère dans la silhouette des personnages ! La couleur en était terne? — Certes, oui, mais quelle harmonie délicieuse dans les paysages! M. Puvis de Chavannes est un peintre d’autrefois; c’est le successeur direct, on pourrait dire l’héritier de Bernardino Luini. Il n’a pas la même science; mais il a le même sentiment, la même simplicité. Si M. Puvis de Chavannes avait peint ses compositions il y a seulement quatre ou cinq cents ans, personne ne songerait à le contester. Ceci dit, reconnaissons que le Pauvre Pêcheur qu’un pauvre tableau, et conseillons aux peintres qui veulent s’inspirer de M. Puvis de Chavannes de lui emprunter ses qualités de composition et d’harmonie, au lieu de reproduire, en les grossissant, ses rares défauts de coloriste et de dessinateur.

Ce qui est sentiment chez M. Puvis de Chavannes est parti-pris chez M. Henner. Il veut les oppositions violentes des tous, et il