Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maître ayant été mis à même d’envoyer une quantité de toiles assez considérable a pu faire comprendre la pensée et l’unité de son œuvre. Chacune de ses toiles a été pour ainsi dire une des notes du clavier artistique qu’il a voulu parcourir. Cette note isolée ne dit souvent que peu de chose; mais si vous réunissez ces notes différentes, elles forment une mélodie.

Dans aucune exposition, par exemple, il n’avait été donné d’apprécier aussi bien, dans son ensemble, l’œuvre de M. Meissonier. Même à l’exposition des cent chefs-d’œuvre, où il été représenté cette année par des morceaux importans, dont quelques-uns étaient connus, M. Meissonier avait offert moins exactement au public ce qu’on pourrait appeler l’état actuel, la pleine éclosion de son admirable talent.

Ce peintre, qu’on aime et qu’on admire, malgré ses imitateurs, est véritablement un maître. Quelques-uns de ses tableaux valent les meilleurs des Flamands. Il a cette qualité maîtresse qui est l’originalité, ou, pour mieux dire, le style. Mettez un Meissonier au milieu de vingt tableaux de ses copistes, vous le reconnaîtrez au premier coup d’œil. Il aura ce je ne sais quoi qu’on n’imite jamais, et qui est comme la signature des grands artistes. D’autres auront autant d’habileté, autant de souplesse que le peintre des Ruines des Tuileries; d’autres dessineront peut-être aussi bien; d’autres seront aussi exacts et aussi précis; mais personne ne saura jamais s’approprier cette précision spéciale, cette exactitude particulière, ce dessin personnel qui le distinguent entre tous. On a raconté qu’il use de la photographie : cela est possible; mais cela tendrait à établir que M. Meissonier sait corriger la photographie elle-même pour lui donner l’aspect qu’il a rêvé. L’objectif peut lui fournir un thème, il ne lui a jamais fourni un tableau.

Seul, M. Meissonier possède le secret de faire sur de petites toiles de la grande peinture : les proportions de ses œuvres sont presque celles de la miniature, et rien ne ressemble moins à la miniature que les œuvres de M. Meissonier. Il peint aussi largement que les maîtres ; ce qu’il veut exprimer, il l’exprime d’une touche large et forte. Voyez plutôt ce merveilleux Intérieur de Saint-Marc, si mystérieux et si éclatant, où les détails sont si adroitement subordonnés à l’ensemble et où quelques centimètres de toile suffisent à rendre sensible l’aspect entier du monument et à réveiller tous les souvenirs dont il est plein.

Avec la simple silhouette d’un homme qui lit près d’une fenêtre, avec des joueurs d’échec, avec une patrouille qu’un guide promène à travers la campagne, combien de fois l’artiste a su nous intéresser! C’est que, pour M. Meissonier, comme pour tous les grands maîtres, le sujet n’est jamais qu’un prétexte, l’anecdote qu’un