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dont il faut s’applaudir, à la condition toutefois qu’il se renferme dans la sphère qui lui est propre, la défense, et se respecte en respectant ses adversaires, car toute l’institution est là. Sur ce dernier point, il faut le reconnaître, il y a une mesure difficile à préciser dans les devoirs de l’avocat, parce qu’elle dépend d’une loi supérieure à tout : la nécessité même de la défense. A cet égard, le temps et les circonstances jouent un grand rôle. La nécessité de l’antiquité ne serait pas la nécessité de nos jours. La nécessité actuelle a elle-même ses heures et son opportunité. Sous ce rapport, l’appréciation de l’orateur aura toujours sa large place. Si l’on prenait leurs discours à la lettre, aujourd’hui Cicéron et Hortensius, Démosthène même, courraient la chance d’être vertement réprimandés par le conseil de l’ordre. Mais ils parlaient à la foule, sur la place publique, et l’accusation était permise à tous les citoyens. Ce droit s’était converti en une industrie lucrative : la délation donnait des revenus si elle réussissait devant la justice, et, pour la faire réussir, tous les moyens étaient bons. Comment lutter contre les adversaires de cette époque, contre ces dénonciateurs intéressés, si la parole, comme le fer rouge, n’avait été là pour imprimer l’infamie à quiconque portait une fausse accusation? Quintilien, qui nous a transmis la règle du barreau romain sur ce point, blâme l’invective, mais admet l’attaque quand elle est nécessaire : « Il se rencontre, dit-il, des avocats qui vont chercher hors du sujet de quoi en plâtrer la maigreur, et, à défaut d’autres ressources, en remplissent les vides par des invectives, à tort ou à raison, peu importe, pourvu qu’ils y trouvent l’occasion de briller et de se faire applaudir. C’est une éloquence canine (eloquentia canina), comme dit Appius, que celle d’un avocat qui fait profession de médire pour autrui. Pour moi, cette manière de plaider me paraît indigne du véritable avocat; je n’admets pas qu’il se permette des personnalités offensantes, lors même qu’elles seraient fondées, à moins que la cause n’en fasse une nécessité (nisi id causa exigit). » Mais sentant bien que les cliens sont souvent les premiers à harceler leurs adversaires, étant plus jaloux de se venger que de se défendre (qui ultionem malunt quam defensionem) il engage les avocats, en cela comme en bien d’autres cas, à ne point faire leur volonté. C’est un conseil tiré de la nature des choses par un homme expérimenté. Quelle est donc cette comédie où par hasard l’avocat, entendant successivement les deux adversaires, se confond à leur répéter : « La question, s’il vous plaît! » sans parvenir à arrêter un débordement d’accusations et d’injures réciproques, tout cela pour le plus mince intérêt? C’est que si le poète est irritable, le plaideur est naturellement irrité. Chez nous, le décret de 1810, qui témoignait cependant peu de tendresse aux avocats, admet aussi les attaques « quand elles