Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers le commerce maritime, voulut heureusement faire sentir le pouvoir de ses armes aux Arabes qui bordaient le littoral de la Mer-Rouge : il exigea d’eux un tribut annuel. Ce tribut fut affermé; un certain Annius Plocamus se chargea de le recueillir. Plocamus envoyait à cet effet des affranchis parcourir la côte, lever l’impôt, toucher les droits de douane. Un de ces délégués commit l’imprudence de s’avancer trop à l’est ou de s’aventurer trop au large. Le vent de nord, qui soufflait alors avec violence, ne lui permit pas de regagner la terre. Pendant qu’il bataillait avec la brise contraire, il fut tout à coup saisi par la mousson d’ouest et emporté, sans qu’il lui fût possible de rebrousser chemin, jusqu’à l’île dont Onésicrite avait le premier, sur de vagues rapports, jugés peu dignes de foi, révélé à ses contemporains incrédules l’existence. Cette île, les anciens l’appelaient la Taprobane; nous la nommons aujourd’hui l’île de Ceylan. Si l’affranchi de Plocamus eût péri dans la traversée, s’il eût été mal accueilli par les Cingalais, les marchands d’Alexandrie auraient continué, pendant bien des siècles encore, de se traîner le long des côtes de l’Arabie et du Golfe-Persique. Personne n’eût songé à se demander ce qu’était devenu le vaisseau perdu : les anciens ne comptaient pas leurs naufrages. L’affranchi, par bonheur, ou, pour mieux dire, par une sorte de miracle, put franchir sans être submergé, sans succomber à la soif ou à la famine, les 2,130 milles qui le séparaient du continent indien. Telle est la distance d’Aden à Pointe-de-Galles. Une population débonnaire fit à l’étranger fourvoyé l’accueil qu’Ulysse trouva chez les Phéaciens : le roi de Ceylan résolut de rouvrir à son hôte le chemin de la patrie. Il n’était probablement pas sans avoir entendu parler de la grandeur de Rome et des avantages que ses voisins retiraient déjà du commerce établi entre l’Inde et l’Europe. Tout fait présumer que l’affranchi de Plocamus prit passage sur un vaisseau indien ou arabe qui le débarqua en Arabie. Il emmenait avec lui quatre ambassadeurs expédiés de Ceylan sous la conduite d’un rajah, — le Rachias de Pline l’Ancien. L’arrivée de ces ambassadeurs dut faire événement à la cour de Claude. Ce n’était pas, on s’en souviendra, la première fois que Rome voyait des Indiens ; jamais on ne lui avait montré des habitans de la Taprobane. Le rajah était, paraît-il, un homme instruit et très disposé à faire part de ses connaissances géographiques aux Romains. La Taprobane était loin, suivant lui, de marquer l’extrémité de la terre habitable. Bien au-delà de cette île existait le pays des Sères, contrée vaste et féconde que son père avait autrefois visitée et d’où l’Inde lirait cette laine si fine et si précieuse que l’on appela depuis lors laine sérique.

Qu’importait cependant d’avoir reculé les limites du monde si