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celle qui convient au voyage d’Égypte à Muza. Il est bon cependant, quand on veut aller à Cané, de se mettre en route un peu plus tôt.

Après Cané, la côte court tout droit au nord-est jusqu’au point où elle se creuse de nouveau pour former un golfe très profond et d’une grande longueur. Ce golfe, nommé le golfe de Sachalite, — aujourd’hui Ghubbet et Kamar, — borde le pays de l’encens, pays montagneux et d’un accès difficile, où l’air est épais et lourd. L’encens qu’on y recueille provient d’arbres peu élevés et grands à peine comme des arbustes. La résine odorante se coagule sous l’écorce à la façon de ces larmes de gomme qui suintent en Égypte de certains arbres. Pour la récolte, on emploie des esclaves du roi et des criminels qui sont envoyés dans cette région malsaine en expiation de leurs méfaits. Toute la contrée est des plus insalubres; les vaisseaux mêmes ne la côtoient pas impunément. L’air y est mortel aux travailleurs; n’oublions pas non plus les tristes effets d’une nourriture insuffisante.

A l’entrée du Golfe-Sachalite, quand on aborde ce golfe en venant du sud-ouest, se dresse le promontoire le plus élevé du monde. Ce promontoire, qui fait face au Levant, était connu des anciens sous le nom de Syagrus ; les Arabes l’appellent aujourd’hui le cap Fartak. L’élévation du promontoire Syagrus dépasse 812 mètres: on l’aperçoit d’une distance de 60 milles. Non loin de cette pointe avancée se trouvaient, au temps de l’auteur du Périple, un château fortifié et un port qui servait d’entrepôt à l’encens récolté dans le pays environnant. En face du cap Syagrus et du côté du sud, vous remarquerez une île qui tient à peu près le milieu entre le continent arabe et le promontoire des Aromates, sur le continent africain. L’île est cependant un peu plus rapprochée du cap Syagrus : on l’appelait alors l’île Dioscoride; nous la nommons aujourd’hui Sokotra. C’est une très grande île, mais une île à peu près déserte, quoique l’eau n’y manque pas. On y rencontre, en effet, des fleuves remplis de crocodiles, beaucoup de serpens et d’énormes lézards dont les indigènes mangent la chair et emploient la graisse fondue en guise d’huile. L’île ne produit ni raisin ni blé. Les habitans, peu nombreux, se sont rassemblés sur un seul côté de l’île, celui qui regarde le nord et fait face à l’Arabie. Cette population n’est pas aborigène; elle se compose d’un mélange d’Arabes et d’Indiens, de quelques Grecs aussi, jetés là par les hasards de la navigation. On trouve à Dioscoride des tortues de mer et des tortues de terre, celles qui fournissent de l’écaille blonde et qui sont remarquables par leur grande carapace aussi bien que les tortues de montagne, à la vaste et épaisse cuirasse, dont la partie qui protège le ventre ne peut guère, à cause de sa dureté, être