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suis sûr, l’île de Perim. « Le passage, nous apprend l’auteur du Périple, se trouve ainsi partagé en deux canaux : au lieu d’être direct, il est sinueux et exposé, quand on a dépassé l’île, aux rafales qui tombent des montagnes adjacentes. » Le capitaine Moresby est naturellement plus explicite : il n’écrit pas pour les caboteurs. Qu’il nous suffise de savoir que l’île Perim, sur laquelle flotte aujourd’hui le drapeau anglais, est située à l’entrée du détroit de Bab-el-Mandeb, à 10 milles de Ras-Sejarn sur la côte libyenne, à 4 milles de la côte d’Arabie. L’île Perim forme ainsi ce qu’on appelle le petit et le grand détroit, également praticables tous les deux pour les plus gros navires de la marine moderne.

A l’endroit le plus resserré du canal se trouve, — je veux dire se trouvait au Ier siècle de notre ère, — le village arabe d’Océlis, dépendant du chef de la Mopharitide. Située par 12° 41’ environ de latitude, Océlis n’est pas, à proprement parler, un comptoir; c’est plutôt un mouillage, une étape, la première hôtellerie des vaisseaux qui veulent entrer dans le golfe. Si je vous disais qu’à Djebel-Heikah et à Djebel-Turbah, on rencontre des ruines qui ont peut-être appartenu à Océlis, je vous laisserais dans l’incertitude, car il est peu de cartes où figurent ces localités arabes; je préfère donc me borner à vous apprendre qu’Océlis occupait probablement le premier pli de terrain que laisse à sa droite le cap Bab-el-Mandeb. Quand on a dépassé Océlis, le détroit s’épanouit de nouveau et devient peu à peu une mer. A 120 milles environ d’Océlis, dans la direction de l’est, on aperçoit le bourg maritime d’Eudæmon-Arabia, — autrement dit de l’Arabie heureuse ; — le bourg d’Eudæmon fait partie des états de Charibaël. La côte sur ce point est plus accessible et offre aux navires de meilleurs mouillages. Grâce à Eudæmon-Arabia, les vaisseaux qui veulent donner dans le golfe trouvent à l’entrée même un abri. Avant qu’on y assît une ville, ce coin privilégié avait déjà reçu le nom d’Arabie heureuse, parce que les marins qui n’osaient pas tenter la traversée de l’Inde en Égypte, ni partir d’Égypte pour se rendre dans le Golfe-Persique, avaient grand avantage à se rencontrer à mi-route et à faire, sans aller plus loin, l’échange de leurs marchandises. C’est ainsi qu’Alexandrie reçoit à la fois et les productions des pays étrangers et celles de l’intérieur de l’Égypte. Peu de temps avant l’époque où écrivait l’auteur du Périple, Claude donna l’ordre de détruire Eudæmon. Résolu à ouvrir à ses flottes marchandes le chemin direct de l’Inde, il ne voulait pas d’une concurrence qui eût diminué les profits de ses armateurs et peut-être amorti leur zèle. Les Anglais avaient pris Perim; ils n’ont pas jugé inutile de s’établir également à Eudæmon. L’ancien comptoir sabéen est devenu sous leur puissante influence un autre Gibraltar : on le nomme aujourd’hui