Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signaux qu’on lui fit, ce bâtiment accourut. Le naufrage n’avait eu que la coque du Meikong, le sang-froid du capitaine lui ravit la proie bien plus précieuse, que la vague, sans l’habileté des dispositions prises, aurait dévorée.

Nous n’avons cité que les vaisseaux qui ont péri : combien la liste serait plus longue si nous voulions mentionner tous ceux qui ont été en danger ! L’atterrage d’Ouessant, de lugubre mémoire, n’a pas un cortège de souvenirs plus funèbres. La mousson de sud-ouest souffle souvent en tempête, les courans sont violens; on les a quelquefois trouvés de 6 milles et demi, de 7 milles à l’heure, de 8 même en certaines circonstances. Le ciel est bleu et pur, tout scintillant d’étoiles ; il vous laisse l’impression d’une fausse clarté, tandis qu’à l’horizon une brume impénétrable masque les terres basses et la plage. Si quelque sommet se détache sur l’azur trompeur, gardez-vous de reconnaître d’emblée dans cette silhouette indécise le cap que vous cherchez à découvrir ; vous n’avez probablement devant vous que les montagnes lointaines de l’intérieur. Le cap Guardafui est un promontoire escarpé, dont la hauteur atteint 275 mètres; mais il est d’autres pointes saillantes qui ne sont ni moins élevées, ni tranchées d’une façon moins abrupte : plus d’un marin expérimenté a pu les confondre, pendant la nuit surtout, avec le fameux cap des Aromates. Les bureaux hydrographiques, les chambres de commerce ne cessent de multiplier les recommandations. Toutes leurs instructions peuvent se résumer dans ce sage conseil : Usez de prudence et sondez souvent. Les fonds que la sonde peut atteindre s’étendent à 10 ou 12 milles de la côte; en ne s’aventurant jamais en-deçà de la ligne des 64 mètres, on est à peu près certain de contourner la terre avec sécurité.

Sonder quand on est poussé vers la terre par une brise violente et par une mer énorme n’est pas aussi facile que, dans le silence et le calme du cabinet, on se l’imagine ; observer les étoiles quand l’horizon refuse de se dessiner nettement n’est guère plus praticable. Tout devient source d’erreur en pareille occasion. Aussi n’y a-t-il qu’un cri dans toutes les marines du globe : il faut élever un phare sur le cap Guardafui et un autre phare sur le Ras-Hafoun. Ces deux caps se projettent malheureusement au large d’une côte barbare et inhospitalière. Les Arabes Somalis sont les maîtres du pays. Le capitaine Owen les représente comme un peuple doux, d’habitudes pastorales, et suivant lui, ce ne sont pas les Somalis, ce sont les Gallas, tribus farouches de l’intérieur, qu’il faut craindre. Doux ou féroces, les Somalis n’en sont pas moins de véritables sauvages, des nomades ne reconnaissant aucune autorité avec laquelle les gouvernemens européens puissent s’entendre. Il sera donc indispensable, si l’on veut céder aux vœux du commerce, d’occuper militairement les deux points qu’on prétend