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de l’Inde, obligé de faire appel à l’égalité d’âme, je dirai presque à l’équité du lecteur. « L’Inde, dit-il, est très éloignée ; peu des nôtres l’ont vue, et ceux qui y ont pénétré n’en ont visité qu’une partie ; leurs récits se composent généralement de ce qu’ils ont pu apprendre par ouï-dire. Parmi les marchands égyptiens qui ont fait le voyage de l’Inde, combien en est-il qui soient parvenus jusqu’au Gange ? Ceux qui ont eu cette bonne fortune sont tous gens illettrés, et ce n’est pas d’eux qu’il faut attendre la moindre lumière sur ces pays. »

Les autorités que Strabon invoque de préférence pour nous décrire l’Inde et ses habitans sont surtout Ératosthène et Patrocle. Ératosthène était plutôt un astronome et un mathématicien qu’un géographe ; il fut, dit-on, le premier astronome qui ait mesuré un degré d’un grand cercle. Directeur de la bibliothèque d’Alexandrie sous le règne de Ptolémée Évergète, il put naturellement en consulter les archives. Eratosthène mourut en l’année 194 avant Jésus-Christ, âgé, à cette époque, de quatre-vingt-un ans. Quant à Patrocle, nous ignorons s’il fut plus marin que géographe ou plus géographe que marin : en tout cas il commanda sous les Séleucides la flotte de la mer Caspienne. On peut cependant douter qu’il ait jamais trouvé le loisir d’explorer les parages confiés à sa surveillance, car il commit la faute d’accréditer, sur de vagues données, la croyance d’une communication directe entre la mer Caspienne et l’Océan indien. Nous verrons, au début du XVIe siècle de notre ère, Sébastien Cabot accorder à ce renseignement trompeur une foi absolue. Pourquoi le géographe de Charles-Quint et d’Édouard VI eût-il récusé une autorité à laquelle un des princes de la science, Strabon, lui avait donné l’exemple de se soumettre ? « Les rois, dit Strabon, ont souvent investi Patrocle de grands commandemens, et cet amiral a sur les compagnons d’Alexandre, qui n’ont observé l’Inde qu’en passant, le grand avantage d’avoir pu profiter de tous les documens rassemblés par Alexandre lui-même. Xénocle, le gardien du trésor royal, les mit à la disposition du commandant de la flotte d’Antiochus. »

Sous Claude enfin, comme nous l’avons dit plus haut, on eut des notions plus précises sur la navigation de la Mer-Rouge et de l’Océan indien. Un écrivain dont le nom ne nous a pas été conservé, mais que les érudits soupçonnent à bon droit d’avoir été un marchand d’Alexandrie employé lui-même aux voyages de l’Inde, publia, longtemps après Agatharchides, un nouveau Périple de la Mer-Érythrée. Au temps d’Agatharchides, géographe grec né à Cnide vers l’an 150 avant Jésus-Christ, les vaisseaux égyptiens prenaient leur point de départ d’Arsinoé située au fond du golfe de Suez ; plus tard, sous le règne de Claude, on les voit, suivant l’auteur