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tendre et aussi plus distingué de cœur, n’avait d’autres soucis que la fatigue et la longueur du chemin pour un être épuisé. Mais il sentait que le « vent du désert et le froid de l’isolement étaient encore plus funestes que tous les autres. « Il fallait se rendre enfin : « Conservez-moi votre amitié, lui répondit Mme de Beaumont, et soyez sûr qu’elle est peut-être le plus fort lien qui m’attache à la vie : Villeneuve et Rome renferment ce qui m’est le plus cher au monde[1]. »

Elle quitta le Mont-d’Or le 5 septembre et s’arrêta à Clermont-Ferrand. Elle s’y plut ; elle en aimait les toits plats, les points de vue, ce qui en faisait une ville singulière ; elle se sentait dans la province d’où les Montmorin étaient sortis. Elle avait retrouvé une excellente cousine, Mme de Vichy, qui s’était mise à l’adorer, et puis elle entendait enfin parler en Auvergne, mieux qu’ailleurs, de ses vieux parens, de sa mère, de son père, et la façon dont on lui en parlait lui donnait de vraies jouissances. Les premiers jours, elle put croire que les eaux étaient allées chercher la vie et la lui avaient apportée. Adoucissement trompeur et passager ! un refroidissement amenait bientôt une quinte de toux, et néanmoins elle partait pour Lyon[2]. Joubert lui écrivait le 14 septembre, c’était son avant-dernière lettre ; il la suppliait de ménager sa vivacité, il tournait de tous les côtés son imagination pour chercher quelques soulagemens à la malade. Il répétait, pour la centième fois, à celle dont l’ardeur allait gaspiller ses derniers jours, que la vie est un devoir, et qu’il faut attiser ce feu sacré, en s’y chauffant de son mieux, jusqu’à ce qu’on vienne nous dire : «C’est assez ! » Il était tenté de se fâcher, voyant à quel point Pauline était aimée de ses amis, et combien elle le croyait peu. Il attendait avec impatience et inquiétude sa dernière décision, le repos à Villeneuve ou le voyage à Rome. Ce ne fut pas la raison qui l’emporta. Ballanche, qui la reçut à Lyon, prévint Chateaubriand. Il lui mandait qu’un malheur immédiat n’était pas à craindre et que l’état de la malade paraissait s’améliorer.

Elle partit pour l’Italie, et le 1er  octobre, elle était à Milan. Elle s’efforça de rassurer Joubert lui affirmant qu’elle était arrivée en meilleur état qu’elle ne l’espérait, quoique extrêmement fatiguée. Son cœur était si triste[3] ! Chateaubriand n’avait pu venir jusqu’en Lombardie à sa rencontre ; mais il lui avait envoyé un compagnon sûr, respectueux et discret, M. Bertin l’aîné. Chassé de Paris en

  1. Lettre de Mme de Beaumont du 4 septembre 1803.
  2. Lettres de Mme de Beaumont des 7 et 9 septembre 1803.
  3. Lettre de Mme de Beaumont du 1er  octobre 1803.