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dans Rome au clair de lune, elle avait été écrite pour Mme de Beaumont; elle y fait allusion : « Du haut de la Trinité-du-Mont, les clochers et les édifices lointains paraissent comme les ébauches effacées d’un peintre, ou comme des côtes inégales vues de la mer, du bord d’un vaisseau à l’ancre. Que se passait-il, il y a dix-huit siècles, à pareille heure et au même lieu ? »

Certes, cette poésie du passé, les descriptions de la villa Adriana, et des longues arcades festonnées de lierre, la peinture de ces silencieuses galeries ornées de chefs-d’œuvre et de la solitude de ces loges étudiées par tant d’artistes illustres, étaient faites pour ébranler l’imagination d’une femme instruite et bien douée ; elle espérait peut-être, malgré ses défaillances, que les souffles venus des montagnes de la Sabine et passant sur la Farnésine et le Colisée seraient tièdes à sa poitrine; la séduction lente et intime que Rome apporte aux âmes fortes et rêveuses, le sentiment de grandeur qu’elle laisse et qui fait que, lorsqu’on rentre dans la vie moderne, les regards ont quelque peine à s’habituer aux vulgarités, tout cela, qui l’eût plus senti, plus compris que Mme de Beaumont? Mais le suprême attrait était de rejoindre celui qu’elle entourait d’une sollicitude insatiable et d’une admiration continue. Le souvenir des intimités de Savigny était toujours présent.

Ce fut pourtant toute une lutte, dans sa société choisie, pour s’opposer à ce périlleux départ. Seule, Lucile la comprenait : « Mon frère m’a mandé (30 juillet) qu’il espérait vous voir en Italie... Je ne lui céderai pas le bonheur de vous aimer; je le partagerai avec lui toute ma vie. Mon Dieu! madame, que j’ai le cœur serré et abattu ! Vous ne savez pas combien vos lettres me sont salutaires, comme elles m’inspirent de dédain pour mes maux ! Souffrez que je vous recommande encore votre santé... Comment ne vous aimez-vous pas? Vous êtes si aimable et si chère à tous ! » Fontanes, surtout, fut extrêmement contrarié de ce voyage. Il se préoccupait peu de la santé de Mme de Beaumont ; il ne voyait que l’avenir de Chateaubriand et le parti que les envieux ou les jaloux pourraient tirer encore de la publicité donnée à une affection dont le monde ne connaissait pas le désintéressement et la hauteur. Déjà le sanglier d’Érymanthe avait grondé lors de la retraite à Savigny. Mme de Beaumont l’avait su, et, dédaignant toute explication personnelle, elle avait confié sa peine à Joubert. Ce fut bien pis lorsque Fontanes apprit sa résolution définitive : « Pour comble de ridicule, écrit-il à Guéneau de Mussy (5 octobre), Mme de Beaumont est en Italie et se rend à Rome. Je suis désolé. Je défends le mieux possible mon ami, mais que puis-je contre l’orage? » Pauline n’avait pas été ébranlée par les critiques ; Joubert, plus indulgent, plus