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ou une poétique, ou un traité de philosophie morale, et, arrivant à discuter les origines du Génie du christianisme, il commente la préface où se trouve ce mot : J’ai pleuré et j’ai cru, et il dit : « L’auteur s’est-il bien rendu compte de ce que c’est que croire? Quel rapport y a-t-il entre les croyances d’un dogme et des larmes? Quelle solidité peut-il y avoir dans une conversion ainsi opérée et que, par conséquent, d’autres larmes pouvaient détruire? Bien plus, quels étaient donc ces égaremens dont le souvenir troubla les derniers jours de sa malheureuse mère? Étaient-ce ces déclarations et ces sophismes dont il s’accuse et qu’elle avait peu entendus? A quels dogmes étaient inhérens les principes de morale qu’il avait paru oublier? En lisant la lettre de son aimable sœur, dont il apprit bientôt la mort et qu’il n’a pas été seul à pleurer, quels dogmes sentit-il reprendre pour lui toute leur évidence et quelle liaison nécessaire avaient-ils avec les sentimens moraux qui reprirent en même temps sur lui tout leur empire? Je serais fâché qu’il lui fût désagréable d’être ainsi pressé de questions; mais enfin, quand on se donne pour le régénérateur de la religion et des mœurs, quand on porte aussi loin qu’il le fait une intolérance dont peut-être il ne s’est pas rendu compte, mais qui n’en existe pas moins dans son livre et dans sa doctrine, il faut commencer par scruter à fond, pour me servir de son langage, et ses reins et son cœur. » Étonnons-nous maintenant que Chateaubriand, dans ses Mémoires, ait parlé en termes sanglans de Ginguené!

Sauf un mot spirituel à Adrien de Montmorency sur le chapitre de la Virginité, Mme de Staël fut bienveillante; mais Benjamin Constant, dans une lettre à Fauriel, fut très dur. Il allait jusqu’à prétendre que le style était du galimatias double et que, dans les plus beaux passages, il y avait un mélange de mauvais goût annonçant l’absence de la sensibilité comme de la bonne foi. Décidément, l’instinct de Mme de Beaumont ne l’avait pas trompée; il y avait antipathie de race entre elle et l’ami de Mme de Staël. En revanche, un journaliste qui devait être pour Chateaubriand, dans ses mêlées politiques de la restauration, ce qu’avaient été Fontanes et Joubert dans ses débuts littéraires sous le consulat, écrivit dans le Journal des Débats, à propos du Génie du christianisme, un de ses premiers articles. Cet inconnu était M. Louis Berlin : « Cet ouvrage contient une pensée vraie et grande qui en fait la force et qui est cachée sous la pompe des images comme une forte poutre destinée à soutenir l’édifice, que l’artiste a taillée en colonne pour l’orner. Cette pensée est que le christianisme a mis le beau idéal dans les arts, parce qu’il a mis le beau moral dans la société.[1] > Telle était la

  1. Journal des Débats (6 prairial an X).