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du second : « Il ne m’appartient pas de marquer le rang de cet ouvrage; mais des hommes dont je respecte l’autorité pensent que le Génie du christianisme est une production d’un caractère original que des beautés feront vivre, un monument à jamais honorable pour a main qui l’éleva et pour le commencement du XIXe siècle, qui l’a vu naître. »

Au surplus, les qualités du livre furent justement marquées dès son apparition. Nous n’exceptons de cette équité que le jugement des sectaires, et il y en a toujours. S’il est vrai qu’on en nota le défaut principal, à savoir : l’embarras du peintre aux prises avec le théologien, de telle sorte qu’on ne savait pas s’il s’agissait de la vérité du christianisme ou seulement de sa beauté, on rendit unanimement hommage et tout d’abord à la magie du style et à la richesse de l’imagination. Il fallut plus de temps pour s’apercevoir qu’une esthétique nouvelle était sortie de cette œuvre, que la poésie et la critique avaient été renouvelées, comme il fallut aussi les désastres de l’empire et l’ébranlement subi par les cerveaux pour donner à l’épisode de René son véritable caractère et mettre à la mode ce tempérament de jeune blasé qui n’avait joui de rien, de jeune désespéré qui pleurait des illusions qu’il n’avait pas eues.

Nous ne parlerions pas des combats qui se livrèrent autour du nom de Chateaubriand et qui le portèrent du premier bond sur le bouclier, si nous n’avions pas retrouvé, chez la pauvre Hirondelle de la rue Neuve-du-Luxembourg, les contrecoups de l’émotion pro- duite par les articles de Ginguené dans la Décade philosophique[1]. Ce n’était pas cette fois l’auteur qui était mis en cause, c’était l’homme. Ginguené était Breton; il avait connu Mme de Farcy, une des sœurs de Chateaubriand; il l’avait connu lui-même, alors qu’il s’essayait dans l’Almanach des Muses. On ne put dissimuler ces attaques personnelles à Mme de Beaumont ; elle en fut sérieusement malade. Nous croyons intéressant de reproduire une partie de cette longue critique :

« Je pouvais être suspect dans l’examen qu’on attendait de moi : l’auteur est mon compatriote. J’ai eu des liaisons d’amitié avec une partie de sa famille et avec lui-même ; je l’ai vu naître en quelque sorte à la société et aux lettres ; même depuis son retour et malgré le bruit qui annonçait déjà son livre, je l’ai revu avec l’intérêt dû à ses malheurs, à ses qualités estimables et à nos anciennes relations. On savait tout cela, mais on connaissait mon impartialité et mon indépendance. Je me suis prêté le mieux que j’ai pu à la séduction, et certes, ce n’est pas ma faute si je n’ai pas été séduit. » Ginguené se demande alors si l’ouvrage est un livre dogmatique,

  1. Décade philosophique (20 prairial, 10 et 20 messidor an X).