Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au mot solitude dans l’idiome des sauvages. Comment la philosophie remplira-t-elle le vide de vos jours? Comble-t-on le désert avec le désert? » Le Journal des Débats, par la plume de Geoffroy, signala les vues neuves que révélait cette lettre, l’instruction profonde qu’elle supposait, et surtout une imagination qui savait agrandir les objets et les peindre avec force. Il regrettait cependant que les idées ne fussent pas toujours nettes, et que le style fût quelquefois voisin de l’exagération.

De quelque politesse que fussent enveloppées les critiques de Chateaubriand, elles n’en avaient pas moins percé le cœur de Mme de Staël. Elle était à la veille d’être persécutée. Était-il chevaleresque d’écrire qu’elle avait l’air de ne point aimer le gouvernement actuel? n’était-ce pas appeler encore sur elle l’attention d’une police soupçonneuse ? Mais le cœur impétueux de Mme de Staël était sans rancune. Sait-on comment elle se vengea? Elle employa ses amis à obtenir la radiation de Chateaubriand de la liste des émigrés. Il alla la remercier, et peu de jours après, lorsque parut Atala, il exprima dans la préface ses excuses en des termes un peu précieux, où il opposait son obscurité, le peu de gravité des blessures, à l’existence brillante de Mme de Staël. Il fut plus heureux lorsqu’il rendit hommage à ses qualités morales et à sa bonté, dans un compte-rendu qui parut dans le Mercure, le 18 nivôse an IX, sur la Législation primitive de M. de Bonald. Mme de Beaumont avait cicatrisé les plaies et avait été assez habile pour effacer les froissemens de l’orgueil.


II.

Son affection avait, bientôt après, un sérieux sujet d’alarmes. Chateaubriand venait de prendre le parti de détacher Atala du Génie du christianisme et de livrer à la publicité cette singulière pièce justificative des beautés de la religion chrétienne. Mme de Beaumont était toute craintive. Cette forme de poème donnée volontairement au récit, ce procédé littéraire si contraire à l’esprit du XVIIIe siècle, la préoccupaient. Partagerait-on l’enchantement qui s’était emparé d’elle, dès le prologue, lorsque les immenses paysages se déroulent avec le cours du Meschacebé? Ces cris d’un cœur malade, les comprendrait-on comme elle les sentait? Le tableau pathétique des derniers instans d’Atala, la sincérité de la passion, feraient-ils accepter la faiblesse de l’invention romanesque? Admirerait-on comme elles le méritaient ces funérailles d’une perfection accomplie, cette veillée funèbre où la lune, « après avoir répandu dans les bois son grand secret de mélancolie, vient comme