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du premier nivôse an IX, il publia ses observations. Nous n’en parlerions pas si la fille de Necker n’était venue porter à Mme de Beaumont ses plaintes et ses amertumes.

Fontanes avait ainsi terminé son second article (Mercure, messidor an VIII) : « Ce qui explique les irrégularités qu’on a relevées dans les ouvrages de Mme de Staël, c’est qu’en écrivant elle croyait converser encore. Ceux qui l’écoutent ne cessent de l’applaudir. Je ne l’entendais pas quand je l’ai critiquée. Si j’avais eu cet avantage, mon jugement eût été moins sévère, et j’aurais été plus heureux. » Fontanes n’avait pas voulu continuer lui-même la polémique ; il avait excité des colères et s’était attiré de vives représailles. Chateaubriand entra donc dans la mêlée. Nous citerons le début et la fin de cette lettre peu connue aujourd’hui et qui eut tant d’éclat. On se rappellera que la théorie de la perfectibilité servait de trame aux développemens du livre de Mme de Staël. « J’attendais avec impatience, mon cher ami, la seconde édition du livre de Mme de Staël. Comme elle avait promis de répondre à votre critique, j’étais curieux de savoir ce qu’une femme aussi spirituelle dirait pour la défense de la perfectibilité. Aussitôt que l’ouvrage m’est parvenu, je me suis hâté de lire la défense et les notes, mais j’ai vu qu’on n’avait résolu aucune de vos objections... Si j’avais l’honneur de connaître Mme de Staël, voici ce que j’oserais lui dire : Vous êtes sans doute une femme supérieure; votre tête est forte et votre imagination pleine de charmes, témoin ce que vous dites d’Herminie déguisée en guerrière. Votre expression a souvent de l’éclat et de l’élévation. Mais, malgré tous ces avantages, votre ouvrage est bien loin d’être ce qu’il aurait pu devenir. Le style en est monotone, sans mouvement, et trop mêlé d’expressions métaphoriques. Le sophisme des idées repousse, l’érudition ne satisfait pas, et le cœur surtout est trop sacrifié à la pensée. D’où proviennent les défauts? De votre philosophie. C’est la partie éloquente qui manque essentiellement à votre ouvrage. Or il n’y a pas d’éloquence sans religion... Voilà comment je parlerais à Mme de Staël sous le rapport de la gloire. Quand je viendrais à l’article du bonheur, pour rendre mes sermons moins ennuyeux, je varierais ma manière. J’emprunterais cette langue des forêts qui m’est permise en ma qualité de sauvage; je dirais à ma néophyte : Vous paraissez n’être pas heureuse : vous vous plaignez souvent de manquer de cœurs qui vous entendent. Sachez qu’il y a de certaines âmes qui cherchent en vain dans la nature les âmes auxquelles elles sont faites pour s’unir et qui sont condamnées par le grand Esprit à une sorte de veuvage éternel. Si c’est là votre mal, la religion peut seule vous guérir. Le mot philosophie, dans le langage de l’Europe, me semble correspondre