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d’une situation et que la réalité soit absolument conforme aux sentimens manifestés par le gouvernement autrichien ? Il est bien certain que la manière même dont le ministre de l’empereur François-Joseph témoigne sa confiance dans la durée de la paix n’est point exempte de quelque réserve, et que M. le comte Kalnoky parle au moins en homme qui fait de la politique sans illusions. Il rejette bien loin l’idée que la Russie méditerait une guerre d’agression contre l’Autriche ; il ne se fie pourtant pas absolument aux « relations cordiales » des deux souverains ou aux « relations tout à fait normales » des deux gouvernemens. Le comte Kalnoky a une autre raison moins sentimentale à donner : il ne croit pas à une agression, non-seulement parce que la Russie est enchaînée par ses affaires intérieures, « mais aussi et encore parce qu’on sait bien partout que, dans le cas d’une agression de cette nature, l’Autriche-Hongrie ne se trouverait pas isolée… » Voilà le vrai mot de la situation ! C’est un langage qui a eu, qui devait avoir du succès à Vienne, qui n’est peut-être pas fait pour plaire aussi complètement au cabinet de Saint-Pétersbourg, à qui on montre ainsi la pointe de l’épée allemande. C’est une façon de laisser pressentir qu’il y a des cas où les relations pourraient n’être pas aussi « cordiales, » aussi « normales » qu’on se plaît à le dire. Il est bien clair de plus que, quelle que soit la mesure avec laquelle le comte Kalnoky parle des affaires d’Orient, de la Serbie, de la Roumanie, de la Bulgarie, il ne peut dissimuler tout à fait ce qui peut créer justement des difficultés dans les relations des deux empires. Ces difficultés, elles sont partout en Orient, dans les Balkans. Elles sont à Belgrade à la suite de ce récent imbroglio électoral, où l’Autriche a éprouvé visiblement un échec, où la Russie a repris de l’ascendant, et qui laisse le jeune roi Milan fort embarrassé en face d’une assemblée hostile à sa politique d’alliance avec l’Allemagne et l’Autriche. Elles sont en ce moment même plus que jamais à Sofia, dans la Bulgarie, où le prince, après avoir essayé de tous les moyens constitutionnels ou dictatoriaux, cherche à se concilier les partis nationaux en s’émancipant de la tutelle russe, et se trouve en lutte réglée avec ses anciens protecteurs de Saint-Pétersbourg. Ces difficultés, elles sont dans la nature des choses, dans la politique même de l’Autriche, qui, tournée désormais vers l’Orient, avec l’appui ou sous la pression de l’Allemagne, doit nécessairement rencontrer à chaque pas la Russie : de sorte que les déclarations par lesquelles le comte Kalnoky témoignait, ces jours derniers, sa confiance dans la durée de la paix déguisent à peine une réaliié incohérente et précaire, moins rassurante que toutes les paroles qu’on prodigue et même que les bonnes intentions manifestées par les gouvernemens.

Le fait est que, sous la pression d’événemens violens qui ont con-