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les deux premiers de ces récits, c’est l’influence de Byron, ou, si l’on aime mieux, de Musset, j’entends le Musset des Premières Poésies, celui qui buvait certainement dans son verre, mais un peu aussi, quand on ne le regardait pas, dans le verre de Byron. S’il n’y a rien dans le Mariage de Loti qui rappelle Paul et Virginie (comme on l’a dit fort imprudemment), ni rien (car c’est à quoi l’on eût dû songer tout d’abord), qui rappelle Graziella; quelques traits d’Aziyadé, non pas d’ailleurs des plus heureux, peuvent rappeler Namouna d’assez loin, et, au travers de Namouna, le dandysme affecté de Don Juan. Un désordre voulu, calculé pour l’effet, des notes de voyage, des croquis de touriste jetés au milieu de l’imbroglio léger de l’aventure d’amour, des tirades philosophiques, des effusions de lyrisme, du scepticisme, de la désespérance, des descriptions, des costumes, des cris de rage, et, — comme on disait au commencement du siècle, — des sanglots de volupté : c’est le livre qu’au temps du collège tous les hommes qui vont aujourd’hui vers la quarantaine ont plus ou moins rêvé d’écrire, et, au talent près, qui par places est déjà remarquable, c’est le roman d’Aziyadé. Les lecteurs du Mariage de Loti n’ont sans doute pas manqué d’y noter encore quelques-uns de ces traits. Il y en a jusque dans le Roman d’un spahi, et jusque dans Fleurs d’ennui. Si nous ajoutons que ce dernier volume, comme aussi bien son titre le semble franchement déclarer, procède pour une large part de l’inspiration de l’auteur des Fleurs du mal, nous l’aurons jugé d’un mot. Il ne se dégageait du Roman d’un spahi qu’une grande impression de chaleur; il ne se dégage de Fleurs d’ennui qu’une impression très vive de désappointement. Sans difficulté, de tout ce que nous a donné l’auteur de Mon Frère Yves, il n’a rien écrit de plus faible. Ce sera donc en retour lui donner un avis utile que de lui conseiller de renoncer à un genre pour lequel il n’est vraiment pas fait.

On ne s’étonnera pas qu’au lieu d’analyser des récits qui d’ailleurs ne supporteraient guère l’analyse, nous tâchions plutôt de rapporter à ses premières origines le talent de leur auteur. C’est, en effet, ainsi que chacun de nous va tâtonnant, s’exerçant, se faisant la main d’imitation en imitation et de modèle en modèle, jusqu’à ce qu’il en rencontre un enfin au contact de qui sa véritable originalité se dégage. Ou nous nous trompons fort, ou l’auteur de Mon Frère Yves n’est devenu tout à fait lui-même que dans ce dernier récit, et au contact de l’auteur de Jack. Tout en y notant quelques-unes des mêmes qualités que dans le Mariage de Loti, ou dans le Roman d’un spahi, je voudrais surtout montrer en quoi Mon Frère Yves en diffère, et que son principal mérite est justement d’en différer.

En fait de romans maritimes, puisque cette singulière désignation est communément reçue, ce que nous avions de mieux, c’étaient les