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Les premières œuvres de Loti peuvent être enveloppées dans un bref jugement d’ensemble. Aziyadé, le Mariage de Loti, le Roman d’un spahi, sont trois récits de valeur assez inégale, je serais quasi tenté de dire trois récits de valeur décroissante, mais trois récits, au fond, de la même famille et de la même nature d’intérêt : trois aventures d’amour, dont le fortuné Loti, sous divers déguisemens, costumé tantôt à la turque et tantôt à la polynésienne, est toujours le héros ; dont les héroïnes, sous les noms plus ou moins bizarres d’Aziyadé, de Rarahu, de Faton-gaye, la blanche, la rouge et la noire, sont assez semblables l’une à l’autre, et dont les détails enfin, les accessoires, le cadre seuls diffèrent un peu profondément: — Constantinople pour Aziyadé, Tahiti pour le Mariage de Loti, le Sénégal pour le Roman d’un spahi. C’est joli quelquefois, mais toujours très décousu ; c’est vivant, et cependant bien factice; et c’est poétique, si l’on veut, mais tout de même trop artificiel. Par une disposition d’esprit sans doute assez singulière, j’aime à comprendre ce que je lis, et je suis curieux de bien voir ce que l’on me dit que l’on me montre. C’est pourquoi les « couronnes de rêva-rêva, » les « colliers de soumaré, » les mœurs maories, les modes khassonkées, les « champs de Dialakar » eux-mêmes, et la « plage de Papéuriri, » tout cela, je l’avoue, ne me dit pas grand’chose; et pour un peu de vérité humaine je donnerais tout ce paillon, tout ce clinquant, toute cette verroterie romantique. C’est un grand avantage que d’avoir voyagé, mais il n’en faut pas abuser ; le turc est sûrement une belle langue, et le tahitien aussi, mais pas quand on écrit en français; et si je fais grand cas de l’art de peindre, c’est à la condition de pouvoir juger de l’exactitude, et de la ressemblance, et de la vérité de la peinture : une exagération de couleur locale me gâte ces premiers récits.

Entre autres influences littéraires, il n’en est pas beaucoup que l’auteur de Mon Frère Yves ait plus docilement subies que celle de Flaubert. Il a raison. Dans l’art de la description, Flaubert demeurera longtemps encore un maître que l’on ne saurait trop étudier. Nous ne demanderons donc à Loti que de se souvenir que l’auteur de Salammbô n’existerait seulement pas, comme on nit familièrement, s’il n’était en même temps l’auteur de Madame Bovary. L’imitation de la nature n’est pas, quoi qu’on en dise, l’unique objet de l’art; mais, dans la mesure où l’art est une imitation de la nature, il faut que nous puissions contrôler la nature de l’imitation. En fait, nous n’apprécions véritablement de la description la plus polynésienne ou la plus carthaginoise, — toutes les fois du moins qu’elle n’est pas inintelligible, — que ce que justement elle enveloppe en soi de moins punique et de moins maori.

Une autre influence, dont les traces ne sont pas moins visibles dans