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phrases sonores; il a découvert que rien au monde n’est plus sonore que l’absurde, et il se grise de sa musique. C’est le radical virtuose.

Ces naïfs qui De savent pas toujours ce qu’ils disent et ce qu’ils font n’arriveraient pas à grand’chose s’il ne se trouvait des sceptiques, ambitieux et habiles, pour venir en aide à leur innocence et diriger la campagne. Ces derniers savent toujours ce qu’ils font, et pour eux le radicalisme est moins un système qu’une méthode. Ils s’en servent pour démolir les ministres qu’ils n’aiment pas, dans l’espoir de se mettre à leur place. Ce sont là des machinations fort dangereuses et il n’est pas sûr qu’elles tournent à leur profit. Le socialisme fut jadis autoritaire; depuis qu’il désespère de s’emparer de l’état, il s’occupe de le détruire et les radicaux autonomistes travaillent pour lui, il les charge de lui préparer les voies. Il est vrai que les habiles dont nous parlions comptent jouer au plus fin. Le socialisme ne les inquiète pas; le moment venu, ils le mettront à la raison. Peut-être se trompent-ils dans leurs calculs. Il arrive quelquefois que les dompteurs de fauves soient mangés par leurs bêtes et que les fous furieux prennent à la gorge les fous rusés.

A quoi sert l’expérience? L’Espagne nous a fait voir, en 1873, des radicaux fantaisistes préparant le triomphe des socialistes anarchiques, puis se repentant de leur ouvrage et cherchant en vain à le de faire. Ils avaient déclaré qu’une république unitaire est une monarchie déguisée, et, pour leur faire plaisir, les Cortès avaient proclamé d’une seule voix la république fédérale sans qu’aucun des votans eût pu dire ce qui venait d’être voté. Mais cette formule enchantait tout le monde, c’était une ivresse, un délire;. On venait d’inaugurer sur la terre le règne de la vertu et du bonheur. Un républicain, à qui son ennemi refusait le titre de fédéral, s’en offensait comme d’une mortelle injure. On s’abordait dans les rues en se disant : Salud y republica federal! Après quoi on entonnait des hymnes à la sainte indiscipline et à l’autonomie du soldat. Qu’était-ce que la a république fédérale? » Les uns entendaient par là l’émancipation des provinces, des institutions pareilles à celles des États-Unis ou la décentralisation administrative, d’autres visaient à l’anéantissement de toute autorité, à l’ouverture prochaine de la grande liquidation sociale. Les socialistes de Barcelone et de l’Andalousie prêchaient la souveraineté absolue des communes, ils entendaient donner à l’Espagne dix mille municipes indépendans, ne recevant de lois que d’eux-mêmes, en supprimant du même coup et l’armée et la gendarmerie. On vit bientôt dans les provinces du Midi l’insurrection se propager de ville en ville, de village en village. Dès qu’une commune avait fait son pronunciamiento, son premier soin était di détruire le télégraphe et les chemins de fer pour couper toutes ses communications avec ses voisins