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de sang, et si le radical a comme lui la vertu pour but, il n’a pas la terreur pour moyen. Il recourt plus volontiers aux grandes et aux petites vexations, qui à la longue n’ont pas moins d’effet. Dans les cantons suisses où le radicalisme a assis le plus solidement sa domination, le gouvernement compromet la paix publique par des mesures irritantes qui lassent les plus robustes patiences. Il met partout la main, et cette main est souvent une lourde patte.

Un autre défaut qu’on reproche aux gouvernemens radicaux, c’est qu’ils sont très dépensiers. Estimant que rien ne peut être bien fait que par l’état, se défiant beaucoup de l’initiative des particuliers, ils ne reculent devant aucune entreprise et ne regardent pas aux frais. Les gouvernemens conservateurs qu’ils ont remplacés avaient le goût de l’épargne; ils administraient la fortune publique en bons pères de famille et quelquefois avec un peu de parcimonie. Les radicaux ont fait assurément beaucoup de dépenses utiles. Ils ont créé des écoles et même des laboratoires, ils ont embelli les villes ; mais quoi qu’ils fassent, ils aiment à faire grand. C’est leur plaisir et leur orgueil ; nous avons tous notre plumet. D’autre part, ils jugent que, dans une république radicale, tous les emplois doivent être rétribués, qu’il est dangereux d’autoriser les gens qui ont du bien et du loisir à acquérir de l’influence en servant gratuitement leur pays. Aussi voit-on se multiplier les emplois, les traitemens et les gens qui les convoitent. Tout cela produit quelque gaspillage. Quand il survient de graves embarras financiers, le peuple s’inquiète, s’alarme ; il sent le besoin d’enrayer la dépense, de remettre un peu d’ordre dans les affaires. A cet effet, il a recours aux conservateurs et aux libéraux, dont il méprisait les idées étroites et les habitudes mesquines. Il leur rend sa confiance pour quelque temps, les charge de rétablir l’équilibre du budget, après quoi il les met à pied. En Suisse, les libéraux ont pour office d’arranger les finances et les radicaux de les déranger. C’est l’histoire des dernières années de la république de Genève.

Le représentant le plus connu et le plus complet du radicalisme suisse est assurément M. Carteret. Ses talens, ses qualités, ses défauts, tout le prédestinait à ce rôle. Il aime les entreprises, il en a fait de bonnes et de mauvaises et n’a jamais regardé à la dépense. Il est autoritaire dans son langage comme dans ses actes, il a du goût pour les mesures vexatoires, les catholiques en savent quelque chose. On peut dire de lui beaucoup de bien et beaucoup de mal, et il est plus fier des injures que lui adressent ses ennemis que des éloges que lui prodiguent ses amis. M. Carteret trouverait sans peine parmi les radicaux les moins opportunistes de l’Union républicaine des hommes de sa trempe et de son humeur; il ne se ferait pas prier pour les traiter de frères et il s’entendrait à merveille avec eux. Mais nous sommes