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passage de l’inconscient au conscient serait un saut brusque de l’hétérogène à l’hétérogène, une sorte de création. Car la plus grande antithèse qui existe pour notre pensée, c’est précisément celle des états de conscience et d’une chose qui, par hypothèse, ne saurait se traduire en états de conscience, la seule langue pour nous connue et même concevable. Leibnitz disait encore : « De même qu’un mouvement ne peut naturellement venir que d’un autre mouvement, de même une perception ne peut naturellement venir que d’une autre perception, » Peut-être faut-il ajouter qu’un état conscient, au sens le plus large, ne peut venir naturellement que d’un autre état conscient : la seule différence est dans l’intensité ou dans les relations des états de conscience. Nous pouvons d’ailleurs saisir en nous-mêmes, par la réflexion, cette évolution continue d’une conscience faible à une conscience forte, semblable à un son qui s’enfle graduellement ou à une lueur qui devient lumière. Quand nous pensons et que l’inspiration nous arrive, nous sentons je ne sais quel courant de choses confuses qui, venant du fond de notre intelligence, aspirent à devenir des pensées : elles se pressent, elles s’amassent, elles se soulèvent comme la marée. Mais, puisque nous sentons venir ce flux d’idées qui montent au jour, comment le placer ailleurs que dans notre conscience ?

Il est donc plus rationnel de ne pas admettre en nous une sorte de création ou d’apparition subite, et de répandre la conscience elle-même dans les élémens qui, en s’ajoutant l’un à l’autre, ne font que la rendre intense, distincte, à la fois variée et centralisée. Il y a en nous conscience diffuse et conscience concentrée, comme il y a lumière diffuse et lumière concentrée, mais il est inutile d’imaginer en nous une région entièrement obscure où la conscience n’existerait pas. Que l’intelligence et la volonté réfléchie supposent un fond plus reculé et s’exercent seulement sur des relations, c’est ce que l’on peut, selon nous, concéder aux partisans de l’inconscient, mais nous ne pouvons nous représenter ce fond ni comme une matière inerte, ni comme un esprit inconscient : s’il n’est pas intelligent à proprement parler, il n’est pas pour cela insensible. De même qu’il n’y a pas de vide dans la nature, pas de froid absolu, pas d’obscurité absolue même au fond des mers, — car la lumière y entretient une certaine végétation, — de même il n’y a pas de vide, pas d’insensibilité complète, pas d’obscurité absolue dans notre conscience. Les prétendues ténèbres ne sont qu’une lumière moins vive. En nous, partout et toujours, nous trouvons sensibilité et conscience sous une forme quelconque, et nous ne pouvons pas plus sortir de la conscience que de nous.

Il en serait probablement de même si nous pouvions pénétrer