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courans cérébraux finissent par trouver des voies toutes tracées, et il suffit d’une sensation même incomplète pour ouvrir ces voies, pour produire la sensation complète comme par contagion dans les parties plus centrales du cerveau. Aussi est-ce la couleur la plus intense qui l’emporte dans la croix aux couleurs diverses, à moins que l’imagination ne soit déjà occupée de l’autre couleur, ce qui donne à cette dernière une intensité artificielle. Enfin, quand l’esprit a reconnu son erreur après des expériences nombreuses, des courans nouveaux s’établissent et tendent à contre-balancer les anciens : il se produit à la fin une neutralisation des diverses tendances, et la contagion des couleurs est suspendue. Toujours est-il que, si on ne peut expliquer le phénomène dans tous ses détails, eu égard à la complexité du mécanisme cérébral, la méthode la plus scientifique est de lui attribuer une explication mécanique jusqu’à preuve du contraire, au lieu d’invoquer un raisonnement inconscient qui lui-même ne saurait produire une sensation : quoi qu’en dise M. Wundt, la sensation, au point de vue mental, enveloppe autre chose que de la logique, même de la logique inconsciente, et c’est celle-ci plutôt qui dérive de la sensation.

On a cité encore à ce sujet des expériences très intéressantes sur les illusions visuelles. Nous voyons ou croyons voir un objet avec une couleur qu’il n’a pas réellement. Dans le volet d’une chambre obscure pratiquez deux ouvertures, l’une laissant passer de la lumière blanche, l’autre munie d’une vitre coloriée qui ne laisse passer que de la lumière rouge. Le mur blanc placé en face sera éclairé par de la lumière rouge affaiblie, mélange des deux autres. Placez alors un crayon sur le passage des deux faisceaux lumineux, fun de lumière rouge, l’autre de lumière blanche : le crayon projettera deux ombres sur la paroi. L’une de ces ombres ne sera aucunement éclairée par la lumière blanche, dont le crayon intercepte le faisceau ; elle ne le sera que par la lumière rouge, dont le faisceau n’est point intercepté. Et, en effet, cette ombre paraîtra d’un rouge vif sur la paroi, qui est d’un rouge pâle et mêle de blanc.

Jusque-là, rien de plus simple. Mais que sera l’autre ombre projetée par le crayon ? Cette ombre, ne recevant aucun rayon de la lumière rouge, que le crayon intercepte, sera uniquement éclairée par la lumière blanche émanée de l’une des ouvertures ; elle sera donc en réalité blanche, ou plutôt grise, car le gris n’est qu’un blanc moins clair. Et cependant vous la jugerez d’un vert intense. Le vert étant précisément la couleur complémentaire du rouge, on devine sans peine que l’ombre grise doit nous paraître verte sur un fond rougeâtre comme celui du mur. Mais voici qui est plus curieux. Considérez cette même ombre, qui vous paraît verte sur le fond rougeâtre, à travers un tube étroit qui vous permette de voir désormais