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moderne, on peut étendre la même analogie aux sous isolés et croire qu’ils sont composés d’élémens consciens, mais fondus ensemble. Ainsi la lumière des étoiles se fond en jour avec la lumière du soleil.

Cette réflexion nous amène à d’autres expériences, citées par M. Taine : celles où une sensation consciente semble composée de sensations qui, cette fois, sont inconscientes à l’état isolé. C’est ici que la difficulté se complique encore. Examinons d’abord les prémisses dont part M. Taine. Soit une roue à deux mille dents qui fait une révolution en une seconde ; elle donne deux mille chocs en une seconde et partant deux chocs en un millième de seconde. Si on lui ôte toutes ses dents, sauf deux contiguës, les deux chocs qu’elle donnera en tournant de nouveau n’occuperont qu’un millième de seconde. Or ces deux chocs forment un son déterminé et appréciable. « Donc, dit M. Taine, le son qu’elle donne en une seconde, lorsqu’elle est pourvue de toutes ses dents, comprend mille sons pareils, successifs et perceptibles à la conscience. En d’autres termes, la sensation totale, qui dure une seconde, est formée par une suite continue de mille sensations pareilles qui durent chacune un millième de seconde, et qui sont toutes perceptibles à la conscience[1]. » Avant de continuer la série de conséquences que tire M. Taine, remarquons qu’il induit trop vite des facteurs externes à la sensation interne. Entre les dents de la roue de Savart et la sensation il y a bien des milieux à traverser : l’air, l’oreille, le nerf acoustique, le cerveau ; rien ne prouve que les élémens de la sensation soient en nombre exactement égal à celui des dents de la roue. Le premier son n’est pas encore achevé ou parvenu à la conscience que le deuxième est déjà commencé. Il faut un certain temps, comme nous l’avons vu, pour qu’une impression arrive au cerveau, s’y organise, soit perceptible à la conscience ; il n’est donc pas admissible que la sensation produite par deux dents de la roue dure seulement un millième de seconde. L’ébranlement de l’air persiste plus longtemps, l’ébranlement des nerfs persiste aussi. Il doit y avoir superposition des ondes aériennes entre elles ou des ondes nerveuses ; c’est un dessin nouveau, c’est un rythme nouveau qui se produit dans le cerveau et engendre une sensation nouvelle. Cette sensation est composée, oui ; mais nous ne pouvons savoir si sa composition répond exactement au nombre de dents de la roue sonore. Passons cependant aux dernières conclusions de M. Taine sur l’inconscient. Il ajoute que, si l’on enlève à la roue toutes ses dents moins une, il n’y a plus sensation du son, tandis que, si on lui laisse deux dents contiguës, il y a sensation

  1. Taine, l’Intelligence, I, p. 180.