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éléates avaient voulu en conclure que le mouvement n’existe pas. Eh bien ! nous partageons tous une illusion analogue de métaphysique abstraite quand nous nous imaginons la conscience comme une sorte de moi fermé, d’atome séparé d’autrui par un vide. Comment alors un « objet » peut-il agir sur le « sujet ? » Comment ce dernier peut-il éprouver des sensations ? Là-dessus, les métaphysiciens se donnent carrière : ils imaginent l’impénétrabilité, l’incommunicabilité des sensations ou des consciences, comme ils ont imaginé l’impénétrabilité des atomes ou des monades et « l’incommunicabilité des mouvemens. » Tout cela, ce sont jeux de logique et de métaphysique ; mais la vie, elle, la vie qui partout circule résout sans cesse le problème ; en fait, les mouvemens se communiquent, et aussi, quoi qu’on en dise, les sensations. La conscience circule comme le mouvement, et parallèlement au mouvement, dans tout l’univers, depuis la forme des sensations infinitésimales et à peine senties jusqu’à la conscience raisonnante de l’homme. Qu’on se figure un océan infini dont toutes les gouttes sont des sensations et dont toutes les vagues sont des consciences : le moi est un mode supérieur de distribution, une vague plus haute et plus phosphorescente.

En somme, la prétendue volonté inconsciente se réduit, d’une part, à un mécanisme qui n’est inconscient que parce qu’il est tout physique, d’autre part, à des états de sensibilité qui ne sont jamais inconsciens, puisqu’ils sont toujours sentis alors même qu’ils ne sont pas discernés par l’intelligence. Le vrai inconscient est le dehors des choses, c’est le mécanisme. À quoi bon, outre le côté mental, qui est conscient, et le côté physique, admettre encore, avec Schopenhauer et Hartmann, un inconscient en soi, auquel ils donnent sans motif le nom du phénomène de conscience appelé volonté ? Ce n’est là qu’une négation personnifiée. M. de Hartmann a intitulé son livre la Philosophie de l’inconscient ; il aurait dû l’intituler ; la Mythologie de l’inconscient.


III.

Passons maintenant à la critique des faits d’intelligence inconsciente. Est-il légitime de composer l’intelligence avec des élémens d’ordre mental sans conscience, qui seraient distincts tout ensemble des faits purement mécaniques et des faits de sensibilité consciente ? Hamilton, s’inspirant en partie de Leibnitz, a voulu démontrer l’existence des élémens inconsciens de la pensée par une série de raisonnemens et de calculs qui rappellent les discussions relatives à la divisibilité des quantités continues. M. Taine, allant plus loin encore, soutient qu’une perception consciente est formée d’une infinité de perceptions inconscientes, parce que, s’il n’y avait