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sympathies ou antipathies secrètes, pour montrer qu’on peut vouloir et aimer sans le savoir, et même poursuivre une fin sans le savoir. — Mais d’abord, les sympathies sont plutôt irréfléchies et irraisonnées que vraiment inconscientes. « Le jour où on s’aperçoit qu’on aime, remarque M. de Hartmann, n’est pas celui où l’on a commencé d’aimer. » — Non, mais s’apercevoir qu’on aime, c’est le savoir, c’est raisonner son amour,. c’est réfléchir ; cette réflexion présuppose toujours une conscience spontanée à laquelle elle s’applique. Si on s’aperçoit un jour qu’on aime, et qu’on aime depuis longtemps, c’est que depuis longtemps on avait quelque conscience vague de son amour, sans pouvoir le nommer : Che ho nel cor ? Il peut y avoir rapport inverse entre sentir et réfléchir, non entre sentir et avoir conscience.

Schopenhauer et M. de Hartmann ajoutent que, tout au moins, celui qui aime n’a pas conscience du vrai but de son amour. Ils font intervenir la « magie de l’inconscient » pour expliquer comment celui qui aime choisit invariablement l’être qui le complète le mieux au physique et au moral ; d’où il suit que, quand l’amoureux croit vouloir une chose, il coopère sans le savoir à la « volonté de l’inconscient, » qui est de créer un nouveau membre de l’espèce complet et typique. C’est là recourir au merveilleux pour expliquer un choix dont les raisons sont toutes psychologiques et physiologiques : goûts personnels, acquis ou hérités, effets d’associations d’idées, résultats de « la sélection sexuelle, » etc. Au reste, puisque l’inconscient est si sage dans ses desseins, auxquels nous servons sans le savoir, comment les enfans ne sont-ils pas plus généralement conformes au type de l’espèce ?

Le dernier fait où M. de Hartmann s’efforce de nous montrer une volonté inconsciente, c’est l’exécution de nos volontés par nos organes. Dès que nous avons l’idée consciente et le désir conscient d’un mouvement, le mouvement même s’effectue sans que nous puissions savoir quelle est la force efficace, active, qui a réellement produit le mouvement. Cette force, à en croire M. de Hartmann, serait la volonté inconsciente. Bien plus, le mouvement nécessaire pour lever le petit doigt, par exemple, ne peut s’accomplir, selon M. de Hartmann, que si la volonté agit sur les racines nerveuses qui sont « comme un clavier dans le cerveau ; » or nous n’avons pas l’idée consciente de la place et du nombre considérable de ces racines ; « tout mouvement volontaire suppose donc l’idée inconsciente de l’endroit qu’occupent dans le cerveau les racines des nerfs moteurs correspondant à un mouvement. » — Raisonner ainsi, c’est revenir au deus ex machina des causes occasionnelles, à l’assistance divine, à l’harmonie préétablie ; seulement, au lieu de la divinité consciente qui, selon Descartes et Malebranche, mettait